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Après Dominique, Fromentin, peut-être un peu découragé par le froid accueil que reçut ce roman, garda le silence pendant de longues années, et l’on pouvait croire qu’il avait entièrement renoncé aux lettres, lorsque quelques mois avant sa mort il reparut avec ce beau livre, les Maîtres d’autrefois, dont les lecteurs de la Revue gardent certainement le souvenir[1]. Avec ce livre, il revenait à son point de départ, mais le terrain sur lequel il se plaçait cette fois n’était pas seulement un de ces terrains mixtes où la peinture et la littérature se rencontrent et peuvent essayer d’échanger leurs procédés, c’était un terrain où les deux arts pouvaient et devaient se prêter un appui direct et certain. Ce travail est consacré, comme on le sait, aux artistes des Pays-Bas, et plus particulièrement encore à ceux de la Hollande qu’à ceux de la Flandre. Ce choix vaut d’être expliqué, car il n’a pas été déterminé par le hasard d’un voyage, et c’est au contraire le voyage qui, plus que probablement, a été déterminé par le choix de l’écrivain. Pourquoi Fromentin, voulant parler des choses de son art, s’est-il adressé aux Flamands et aux Hollandais de préférence à d’autres écoles, aux Italiens, par exemple, dont son intelligence élégante et judicieuse était si bien faite pour comprendre et exprimer les magnificences et les grandeurs? Pourquoi? Pour deux raisons, une raison pour ainsi dire de cœur et une raison d’atelier. D’abord ce livre est vraiment le paiement d’une dette de reconnaissance. Nous avons dit dans une page précédente qu’il était difficile de nommer en peinture les maîtres véritables de Fromentin, et cela est vrai si l’on s’obstine à les chercher dans son pays et parmi ses contemporains; mais si l’on sort de France et du XIXe siècle, qui ne peut deviner combien les artistes hollandais ont eu d’influence sur son talent, et combien il a dû de tout temps leur consacrer une large part de ses études ! Ce qu’il cherchait en eux, ce n’était ni la robuste bonne humeur de ceux-ci, ni la fantasque trivialité de ceux-là, ni la cordiale familiarité de ces autres, c’était cette science du métier pour laquelle tous sans exception sont restés sans rivaux. Que de secrets il a surpris dans l’intimité de ces grands petits artistes, Van-Ostade et Albert Cuyp, Terburg et Metzu, Pierre de Hoogh et Wouvermans ! Ce sont eux qui ont doué son pinceau de finesse et de précision à la fois, qui lui ont appris à fondre ses nuances, à adoucir sa lumière, à donner légèreté à ses ombres et transparence à ses atmosphères. C’est aussi pour cette science du métier qu’il s’est adressé à la peinture des Pays-Bas de préférence à toute autre lorsqu’il s’est proposé d’écrire un livre où il expliquerait les secrets de la peinture par les exemples mêmes d’œuvres célèbres, et qui serait moins un voyage à travers les musées actuels

  1. Voyez la Revue des 1er et 15 janvier, 1er et 15 février, 1er et 15 mars 1876.