s’était proposé. Dominique, après avoir poursuivi sans résolution des ambitions sans objet précis et des passions sans ardeur, prend le parti de se marier et d’être tristement heureux pour en finir. Son précepteur Augustin, pour être de trempe plus robuste, n’a pas meilleure fortune; après avoir rêvé les lauriers de l’auteur dramatique, il devance bourgeoisement son élève dans la voie du mariage, et se contente de la gloire modeste de l’homme médiocre et laborieux. Son ami d’Orsel, après avoir gaspillé sa jeunesse dans des aventures galantes, dont il nous est beaucoup parlé sans qu’elles nous soient jamais montrées, est pris un jour de la fantaisie de se suicider, alors qu’il a depuis des années déjà accepté la tristesse et l’isolement inséparables de l’emploi dangereux qu’il a fait du temps, manquant ainsi l’heure de son dénoûment encore plus sûrement qu’il n’a manqué le drame de sa vie. Madeleine, la bien-aimée de Dominique, finit par se laisser toucher par une passion qu’elle n’a ni partagée ni encouragée à l’origine; un instant, on la croit atteinte par la contagion de l’amour qui la poursuit, mais elle est trop honnête femme pour mettre un roman dans sa vie, et son rêve n’aboutit pas. Sa sœur Julie, petite personne fière, taciturne et secrète, a rêvé un roman elle aussi, et comme elle a toutes les qualités voulues pour une héroïne romanesque, on s’attend à chaque instant à le voir éclater, mais il meurt étouffé «n germe. En relisant Dominique, nous n’avons pu nous empêcher de songer à une société de chasseurs qui seraient armés de fusils dont l’un ferait long feu, dont l’autre éclaterait, et dont le troisième refuserait de partir. Nous avons tous un roman dans notre vie, a dit quelqu’un ; oui certes, mais c’est à la condition de l’en tirer. Un roman en puissance, pour employer la terminologie des métaphysiciens, n’est pas un roman en acte, dix romans qui n’aboutissent pas n’en font pas un seul de complet, et c’est pourquoi Dominique, malgré bien des pages heureuses et plusieurs épisodes délicatement traités, n’est pas un vrai et bon roman.
Un très grand défaut de ce livre c’est une disproportion extrême entre les procédés compliqués employés par l’auteur et les minces résultats qu’il a obtenus par leur moyen. Le récit, lent et minutieux à l’excès, détaillant tout objet, analysant toute nuance, semble toujours préparer quelque chose qui n’arrive jamais, et nous mène ainsi jusqu’à la fin en promettant plus qu’il ne tient. On se demande à quoi bon tout ce luxe de psychologie pour des sentimens si étiolés, à quoi bon tant de beaux cadres descriptifs pour des situations qui s’esquivent pour ainsi dire dès qu’elles sont annoncées et des scènes qui refusent de se développer avec franchise. Le personnage principal reste fort obscur dans ses tristesses, bien qu’il démonte et décrive devant nous toutes les pièces de son mécanisme moral jusqu’aux