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ESQUISSES LITTÉRAIRES

EUGENE FROMENTIN ECRIVAIN.

« Quand la maison est achevée, la mort y entre et en ferme la porte à l’hôte. » C’est une de ces paroles d’or par lesquelles le fataliste Orient aime à condenser rêveusement les trésors accumulés de son expérience. Eugène Fromentin connaissait certainement ce proverbe, et sa disparition si brusque, si peu prévue, n’en a que trop justifié la lugubre exactitude. Après des années de patiente activité, il avait enfin bâti sa maison, c’est-à-dire qu’il avait poussé les deux hommes qui étaient en lui jusqu’au point où ils n’avaient plus de conquêtes à faire sur eux-mêmes. Il était arrivé à la pleine possession des moyens qui pouvaient lui permettre d’être maître infaillible dans l’un et l’autre des deux arts auxquels son imagination avide de justesse et son intelligence amoureuse de précision demandaient l’expression de leurs rêves et de leurs pensées. Il avait acquis à sa main exercée avec une régularité laborieuse ce degré de fermeté qui bannit toute incertitude, il avait acquis à ses facultés dressées par un manège adroit ce degré de souplesse qui écarte toute crainte de chute. C’est à ce moment que la mort est apparue et a mis fin soudainement à une carrière prémunie contre toute chance défavorable par les précautions d’une prudence consommée, comme pour attester, en même temps que la vérité du proverbe oriental par lequel nous avons ouvert ces pages, celle de cette autre sentence d’un sage de l’antiquité : « L’art est long, le temps est court. »

Ce que Fromentin fut comme peintre, on l’a dit ici même, et bien dit; nous voudrions à notre tour dire aujourd’hui ce qu’il fut comme écrivain, et nous éprouvons que, si la tâche est courte, elle n’est pas pour cela plus aisée. Son talent, à la fois net et subtil, se présente