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autrefois un ouvrage où l’on démontrait « qu’il importe peu quo l’impôt pèse sur une branche du revenu ou sur une autre, pourvu qu’il soit anciennement établi, que tout impôt à la longue se puise dans tous les revenus, comme le sang qu’on tire d’un bras se prend dans tout le corps. » Rien n’eût plus vrai que cette comparaison. Supposer que l’impôt reste là où on l’a mis d’abord et qu’il ne se répande pas dans le mouvement général de la richesse, c’est supposer qu’on a affaire à une société mal organisée où la richesse ne circule pas comme elle doit le faire. Quand on voit au contraire que cette richesse est en progrès et que d’année en année le bien-être augmente dans toutes les classes de la société, on a bien la preuve que le principe de la répercussion fonctionne régulièrement et que, sauf des inégalités de détail, personne ne paie plus d’impôts qu’il n’en doit payer. Cela ne veut pas dire absolument que les meilleurs impôts sont toujours les plus anciens; on exclurait ainsi toute idée de progrès, et il y en a eu d’excellens de réalisés dans notre législation fiscale; mais la maxime reste vraie quand il s’agit de taxes consacrées par l’expérience et qui ne présentent pas trop d’inconvéniens. Il est évident que ces taxes, fussent-elles un peu moins bonnes que d’autres qu’on voudrait leur substituer, devraient encore être préférées par cela seul qu’elles sont entrées dans les habitudes de la nation, que tous les prix se sont arrangés en conséquence, qu’on les paie sans s’en apercevoir, et que la richesse publique n’en souffre pas.

Quand on met un impôt nouveau à la place d’un impôt ancien, on agit au hasard et on n’est jamais sûr du résultat. Dans le premier moment, ce sont ceux sur lesquels l’impôt tombe directement qui le paient, ils n’ont aucun moyen de s’y soustraire; il ne se fait pas immédiatement à leur profit un changement dans la distribution de la richesse qui puisse les en exonérer. Plus tard, il est vrai, si l’impôt est bon, susceptible d’être répercuté, il entrera comme les autres dans les charges générales de la société, qui pèsent également sur tout le monde; mais jusque-là il y a des victimes particulières, des citoyens qui sont appelés plus que d’autres à faire des sacrifices à l’état, comme cela est arrivé quand on a établi l’impôt sur les valeurs mobilières. Respecter les impôts anciens lorsqu’ils ne sont pas trop lourds et qu’ils rendent beaucoup, les surcharger légèrement quand on a des besoins exceptionnels, telle devrait être la règle à l’usage des hommes d’état pour ménager la richesse publique le mieux possible.

La distinction qu’on veut faire entre les impôts qui reposent sur les objets de luxe ou sur les choses de première nécessité est complètement chimérique; la vérité certaine est que tous les impôts, quels qu’ils soient, pèsent sur la richesse en général, sur le revenu