Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/675

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’agit de leur en ajouter un autre qui, lui, n’aurait rien d’irrégulier, si on pouvait le percevoir avec exactitude, et s’adresserait bien au revenu réel. Il aurait en outre l’avantage, qui est le signe des bons impôts, de pouvoir se généraliser et devenir très productif. C’est là une considération importante quand on est en présence d’un budget comme le nôtre, et qu’on a besoin de frapper à toutes les portes; en voilà une qui peut s’ouvrir aisément et largement : pourquoi la négliger? En Angleterre, aux États-Unis, en Allemagne, partout où cet impôt existe, il figure comme une annexe des autres taxes.

Mais, dira-t-on, si l’impôt du revenu a les avantages qu’on vient de signaler, s’il est aussi susceptible de s’étendre et de devenir très productif, pourquoi en faire un accessoire des autres impôts, et ne pas le prendre pour taxe unique? Ce système a trouvé des défenseurs dans tous les temps, et il en a encore aujourd’hui; il parait en effet le plus logique et le plus rationnel : en simplifiant les taxes, on économise les frais de perception et on ne fait pas sentir sous mille formes la main du fisc, enfin l’impôt va directement à son adresse, c’est-à-dire aux gens qui peuvent le payer. Voilà ce qu’on dit quand on propose la taxe unique sur le revenu ou sur le capital. Il y a une réponse bien simple à faire, c’est qu’en économie financière comme en politique, la logique est loin d’être la meilleure règle à suivre, il faut compter avec beaucoup de choses qui ne sont pas justiciables de cette logique, il faut compter avec les passions, les susceptibilités humaines, avec ce qu’on peut appeler les considérations morales, et ces considérations jouent un très grand rôle dans la production de la richesse. Sans doute, il serait beaucoup plus simple que l’état, s’il a besoin de prélever 2 milliards 1/2 d’impôts sur un revenu brut évalué à 20 milliards, demandât à chacun le huitième de son revenu particulier. Ce serait dans l’exacte proportion, mais alors il faudrait le demander au bas de l’échelle sociale comme au haut, prendre à celui qui reçoit un salaire de 2 francs par jour, ou 720 francs par an, 56 francs pour sa part d’impôt, comme on prendrait à celui qui a 100,000 francs de rente 12,500. Si on faisait autrement, si on accordait des exemptions au bas, il faudrait exiger d’autant plus au haut, et ce n’est plus le huitième de leur revenu que les riches auraient à payer, mais bien de 40 à 50 pour 100, car ceux qui profiteraient de l’exemption seraient toujours les plus nombreux. Or envisage-t-on les conséquences d’un prélèvement de 50 pour 100 sur le revenu? La richesse publique n’y résisterait pas, et l’épargne serait tuée avant de naître. D’autre part, si on n’accordait pas d’immunité, s’il fallait demander à l’ouvrier 12 ou 15 pour 100 de son salaire quotidien, soit 56 francs par an à celui qui gagne 2 francs par jour, on ne pourrait jamais les obtenir. On serait donc placé dans cette alternative, ou de trop charger les uns