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première nécessité? Le sel donne 40 millions à lui tout seul, le sucre 184, les boissons 377. On peut citer également le tabac, qui, par l’extension qu’en a pris l’usage, est presque devenu une chose de première nécessité, à ce point que beaucoup de gens préféreraient s’imposer la dernière des privations plutôt que de s’en passer. Et pourquoi ces taxes sont-elles si fructueuses? Précisément parce qu’elles frappent des objets de première nécessité et s’adressent à tout le monde. On peut les mettre à un taux modéré, et elles rendent beaucoup. Celle du sel, qui donne 40 millions par an, ne compte guère que pour 4 francs dans le budget d’une famille de h personnes. L’impôt des boissons, avec ses 377 millions de produit, augmente de 5 à 6 centimes en moyenne le prix d’un litre de vin; et quant à l’impôt sur le tabac, qui entre pour la plus grande partie dans le prix de la denrée, il n’augmente pas d’un 1/2 centime la valeur de la pipe que l’on fume ou de la prise qu’on aspire; mais tous ces centimes recueillis chaque jour et sur l’ensemble de la population fournissent des sommes considérables.

Maintenant ces impôts ont-ils le grand défaut qu’on leur reproche d’être progressifs à rebours? Pour qu’il en fût ainsi, il faudrait que non-seulement ils fussent acquittés par les contribuables les moins riches, mais encore que ceux-ci fussent obligés de les garder à leur charge sans pouvoir s’en dédommager. Or c’est là une chose inadmissible, absolument contraire à toutes les lois de l’économie politique. On reconnaît bien que le marchand qui paie des droits de licence ou de patente les fait entrer dans ses frais généraux et en demande le remboursement à ses cliens. Il en fait l’avance, et ce sont les consommateurs qui les acquittent définitivement; il ne peut pas y avoir de doute à cet égard. Or, si cela est certain pour le marchand, pourquoi ne le serait-ce pas pour l’ouvrier qui vit de son salaire, pour le petit employé qui n’a que son traitement? Dira-t-on qu’ils sont l’un et l’autre dans une situation trop modeste, trop dépendante pour élever leurs prétentions en raison de l’impôt, et qu’en présence de la concurrence qui existe ils })référeront subir la taxe plutôt que de manifester des exigences qui pourraient les priver de leur travail ou de leur place? Mais alors, et pour les mêmes raisons, ils devront subir aussi les augmentations de prix qui résultent d’autres causes que de l’impôt : la viande, les denrées alimentaires, les loyers, ont beaucoup renchéri depuis un certain nombre d’années. Admettra-t-on que malgré ce renchérissement les salaires soient restés les mêmes? Il y a un élément qui, avant tout, règle le prix des choses : ce sont les frais de revient; il peut bien y avoir quelques oscillations autour de ce prix; on traitera tantôt au-dessus, tantôt au-dessous, selon les circonstances et les rapports de l’offre et de la demande, mais l’écart ne peut être trop