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il faut même un certain courage pour les défendre, tant il paraît admis qu’elles sont mauvaises. On ne les adopte que parce qu’on ne peut pas faire autrement, parce qu’on a besoin de grandes ressources qu’on ne trouve point ailleurs, mais on est d’accord pour les déclarer injustes et oppressives. Et il faut bien le dire, ce n’est point le vulgaire qui pense ainsi, ce ne sont pas seulement les gens qui jugent les choses à l’apparence, sans grande réflexion, ce sont les maîtres de la science économique. Nous avons déjà cité les opinions d’Adam Smith et de J.-B. Say en faveur de l’impôt progressif; nous allons les citer encore contre les impôts indirects.

Pour le premier, il n’y a que les choses de luxe qui devraient être assujetties à ces impôts, « car, comme ils n’atteignent que le surplus, leurs inconvéniens disparaissent, et ils sont accueillis avec moins de murmure. » Quant à J.-B. Say, voici ce qu’il dit à ce sujet : « L’impôt sur les consommations est nécessairement proportionnel à la quantité de la marchandise consommée, et comme la quantité de la chose consommée ne peut suivre la proportion de la fortune, il s’ensuit que ce genre d’impôt, qui joue le principal rôle dans les pays fortement imposés, tombe sur les contribuables d’autant plus qu’ils sont moins riches. En effet, un homme qui jouit de 300,000 francs de revenu ne saurait consommer trois cents fois plus de bière ou de vin que l’homme qui n’a que 1,000 francs; les petites fortunes supportent donc sous ce rapport un véritable impôt progressif, c’est-à-dire d’autant plus fort proportionnellement que les facultés des contribuables sont moindres; c’est un des grands défauts des contributions indirectes, et dont une progression croissante dans l’impôt direct ne serait qu’une juste, mais imparfaite compensation. » Ainsi, dans la pensée de J.-B. Say, ces impôts sont progressifs à rebours, et, en vue de rétablir l’égalité, il ne craint pas de demander une certaine progression dans les impôts directs, qui pèsent particulièrement sur les riches. M. Hippolyte Passy exprime à peu près la même idée dans son article sur l’Impôt du Dictionnaire de l’économie politique, sauf en ce qui concerne la compensation résultant de l’impôt progressif; il distingue entre les choses soumises à l’impôt indirect, et dit : « Les taxes indirectes ont pour effet inévitable d’élever la valeur totale des produits, et ce sont les consommateurs qui, en définitive, en acquittent le montant. Il s’ensuit que la répartition plus ou moins égale, plus ou moins proportionnelle des charges, dépend de la nature même des produits soumis à l’impôt. Règle générale, plus les produits dont l’impôt accroît le prix sont indispensables à la satisfaction des besoins de l’homme, et moins l’impôt qui les frappe se proportionne aux facultés de ceux qui le paient; plus il prend aux familles pauvres des faibles revenus dont elles jouissent. » Et alors, pour éclaircir sa pensée, il ajoute :