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On remarqua surtout la déclaration du président de la cour de justice, lord Campbell, qui, examinant les droits du prince Albert au point de vue de la constitution, prononça ces décisives paroles : « Le prince-époux est l’alter ego de la reine. La constitution ne peut rien changer à ce qui est de droit naturel, de droit antérieur et supérieur à toutes les lois écrites. La constitution ne peut pas faire que le prince ne soit pour la reine le plus sûr des secrétaires, le plus fidèle et le plus dévoué des conseillers intimes. » C’était précisément la doctrine que recommandait Stockmar, et, bien qu’il ait été mécontent de ne pas la voir produite sous forme de loi, on peut affirmer qu’après le verdict de lord Campbell la situation du prince dans l’état avait désormais quelque chose de définitif. Lord Russell avait eu raison de dire en terminant son discours : « Lorsque le peuple, qui finit toujours par être juste, aura bien réfléchi à cette affaire, je crois que toutes ces calomnies, quelle qu’en soit la bassesse, et toutes ces erreurs, quelle qu’en soit la grossièreté, contribueront en fin de compte à fortifier l’attachement de la nation à la reine et à donner au trône un plus solide fondement. »


IV.

Ce récit ne serait pas complet, si nous ne disions pas ce qu’est devenu l’un des principaux acteurs. C’est lord Palmerston qui a suscité ces trois crises et qui, dans chacune d’elles, a été vaincu. Il a été vaincu par la reine, puisqu’il a dû s’incliner devant le mémorandum du 12 août 1850 ; il a été vaincu par lord John Russell, puisqu’il a dû quitter le ministère au mois de décembre 1851 ; il a été vaincu par le prince Albert, puisqu’au mois de janvier 1854 le parlement tout entier a justifié le prince et maintenu ses droits. Que devient lord Palmerston après cette triple aventure ? a-t-il accepté sa défaite ? a-t-il essayé, publiquement ou en secret, de recommencer la lutte, afin de faire triompher sa théorie du pur gouvernement ministériel ? Il faut répondre brièvement à cette question. La trilogie réclame un épilogue.

Lord Palmerston lui-même nous répondra en quelques mots par la bouche d’un de ses amis. Un an après les derniers événemens que nous venons de raconter, au mois de février 1855, le ministère de lord Aberdeen ayant été battu à la chambre des communes et lord Derby n’ayant pu réussir à composer une administration nouvelle, lord Palmerston fut chargé par la reine de reconstituer le gouvernement. C’était en pleine guerre de Crimée. L’ancien chef du foreign office, congédié par lord John Russell et par la reine, était devenu premier lord de la trésorerie, c’est-à-dire premier ministre,