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mort de Peel, avait soutenu son parti ? Au mois de décembre 1852, à la chute du cabinet Derby-Disraeli, n’était-ce pas lui qui avait fait arriver les principaux peelites au pouvoir ? N’avait-il pas donné pour chef à ce ministère de coalition l’ami du réformateur, ce noble lord Aberdeen presque aussi détesté que sir Robert par une aristocratie intraitable ? Ces ennemis de la vieille roche le poursuivaient encore sur un autre terrain. La première des grandes expositions universelles avait eu lieu à Londres en 1851 ; or les hauts tories n’avaient vu là qu’une œuvre funeste, désastreuse, une large porte ouverte à la révolution cosmopolite. Ce couronnement du libre échange était odieux aux partisans des anciennes lois. Ils avaient employé tous les moyens pour faire échouer l’entreprise. Qui donc avait déjoué leurs efforts ? Le prince Albert. Sans se soucier ni des clameurs ni des injures, le prince Albert avait inauguré ce système des grandes luttes pacifiques, des grandes assises du travail universel : le pharisaïsme anglican des hauts tories ne pouvait lui pardonner.

La seconde accusation capitale concernait l’ingérence du prince dans les affaires d’état. L’accusation, Stockmar l’a remarqué, était d’autant plus dangereuse qu’elle était plus vague. Le prince avait-il excédé ses droits ? Avait-il empiété sur le domaine royal ? Avait-il agi en souverain, lui qui n’était que le premier sujet de la reine ? Voilà de bien gros mots, et qui sonnent étrangement à des oreilles anglaises. Sur ce point, il n’est pas de peuple plus chatouilleux et plus défiant. Quand on y réfléchit, il est vrai, on s’aperçoit bien vite que ce sont là des mots sans portée. Dès qu’il y a un ministère responsable devant les chambres, il est absurde de se préoccuper d’influences occultes. Quand le souverain est d’accord avec ses ministres, personne n’a le droit de rechercher comment s’est produit cet accord ; les ministres répondent de leur politique, on les approuve ou on les désapprouve, voilà tout. Avant d’arriver à cet accord, le souverain a eu le droit de s’éclairer, de s’entourer de conseils, d’interroger les hommes qui lui inspirent le plus de confiance. Qu’y a-t-il là de mystérieux et d’illégal ? C’est le droit naturel. Ce droit naturel du roi appartient plus nécessairement encore à une reine ; et où donc la reine trouvera-t-elle un conseiller plus sûr que chez l’époux qu’elle a choisi, chez le père de ses enfans, chez l’homme qui, si elle mourait jeune, serait chargé de la régence pendant la minorité du roi futur ? Voilà ce que dit le bon sens, mais la passion n’écoute pas ; ces mots d’influence mystérieuse, d’ingérence occulte et irresponsable, d’atteinte quotidienne à la constitution, continuent de troubler les cervelles. On ne sait pas au juste de quoi l’on se plaint, raison de plus pour s’exalter. Cette constitution