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Dès que le renvoi de lord Palmerston fut officiellement connu, il y eut dans toute la presse une explosion formidable. Les torts du ministre déchu n’étaient pas de ceux qui déplaisent au public anglais. Ceux-là même qui n’approuvaient pas toujours sa politique aimaient en lui le représentant de la fierté nationale. On le savait détesté de la Russie, de l’Autriche, de la Prusse, de tous les petits états de l’Allemagne ; n’était-ce pas aux cours absolutistes du continent que lord John Russell avait sacrifié son collègue ? Point de doute : Palmerston venait d’être renversé par une conspiration européenne. Ce texte fut développé avec une violence inouïe, non-seulement par les journaux de Londres, mais par toute la presse du royaume. Les mêmes gens qui exaltaient si fort la victime de l’absolutisme et qui accusaient lord John de trahison auraient été fort étonnés sans doute si on avait pu leur apprendre alors, pièces en mains, que lord Palmerston avait été destitué de ses fonctions pour avoir approuvé le coup d’état du 2 décembre ; mais dès que la passion s’est emparée de la foule, qu’importe la vérité ?

Cette passion allait croissant de jour en jour. Les whigs et les radicaux jetaient feu et flamme. Les tories, enchantés de voir une pareille brèche dans les rangs du ministère, se gardaient bien de défendre lord John Russell. Palmerston pouvait écrire à son frère William : « Les journaux de Londres et de la province ne sont occupés que de mon renvoi. Le ton général en est très élogieux pour ma personne, et fort peu agréable pour lord John. » Moins le détail de l’affaire était connu, plus les imaginations s’exaltaient. Le bruit avait couru qu’une brochure pleine de révélations terribles allait être publiée sous ce titre : Palmerston. Qua-t-il fait ? On apprenait bientôt que le ministre congédié avait arrêté lui-même cette publication, afin de ne pas compromettre des personnes du plus haut rang. Pratiquer ainsi la modération, c’était jeter de l’huile sur le feu. Les émotions du dehors n’étaient pas moins vives. Un des attachés de la légation anglaise à Vienne, M. Murray, écrivait à un de ses amis de Londres que la révocation de lord Palmerston était signalée avec fracas par le prince de Schwarzenberg comme une victoire de la politique autrichienne. Le prince (était-ce bien vrai ?) avait eu le mauvais goût de donner un bal pour fêter ce triomphe. « Je crois, ajoutait le diplomate, que, si un tremblement de terre avait englouti l’Angleterre, la reine, les lords, les communes, la libre presse, tout enfin, es désastre n’eût pas fait ici une plus grande sensation que ce brusque et étrange changement du cabinet britannique. » Le ministre anglais à Madrid, lord Howden, ex- primait les mêmes sentimens, et, voyant dans le renvoi de lord Palmerston « une concession à l’esprit de réaction qui parcourait le monde au galop et le foulait sous le rude sabot de son cheval, »