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d’Angleterre est également odieuse. Que l’influence bienfaisante de nos institutions puisse réussir à calmer ces luttes du dehors, ce doit être le désir, le souci de tout véritable Anglais, de tout véritable ami de la liberté et de la civilisation progressive. Cette influence a été annulée par la manière dont lord Palmerston a conduit les af1er aires étrangères et par la haine universelle qu’il a excitée contre nous sur le continent. L’espoir que vous aviez de le soumettre nous a longtemps inspiré des doutes ; ses récens procédés montrent clairement aujourd’hui que c’était chose impossible. Je ne puis donc que vous féliciter d’avoir trouvé une occasion de rupture où le droit est tout entier de votre côté.

« la distinction que lord Palmerston essaie d’introduire entre ses actes personnels et ses actes officiels est absolument insoutenable. Quelque effort que l’on fasse pour l’établir en théorie, elle est impossible dans la pratique. En outre, si l’expression d’une opinion est en harmonie avec la ligne politique d’un gouvernement, elle peut être donnée comme officielle ; si elle en diffère, elle doit nécessairement égarer celui à qui on s’adresse, car elle ne tire son importance que du fait d’avoir été prononcée par un ministre et non par une individualité privée. »


Le prince Albert, quoi qu’on ait pu dire, était donc tout à fait hors de cause. Il n’avait rien fait pour provoquer la crise ; il n’avait influé d’aucune manière sur la résolution de lord John Russell. C’était lord John Russell qui s’était senti atteint personnellement par l’insubordination de son collègue, par son manque de prudence et de décorum. Le prince Albert, étonné comme la reine de la décision si prompte du premier ministre, s’était borné à le féliciter en lui donnant pleinement raison.

Le ministère fit comme le prince. Le conseil, réuni le 22 décembre, condamna la conduite de lord Palmerston et approuva la résolution de lord John Russell. Pas une voix ne s’éleva pour défendre le chef du foreign office. Son procédé parut incompréhensible, à moins, disait-on, qu’il n’eût voulu obliger ses collègues à une rupture. La rupture n’eut pas lieu sans déchirement. Lord John disait à la reine que dans sa longue carrière politique il n’avait point traversé de semaine aussi pénible. Le président du conseil, lord Lansdowne, informé de la crise par une lettre de lord John, avait répondu que l’éloignement de lord Palmerston lui semblait une nécessité, mais que ce serait la ruine du cabinet. Le cabinet montra plus de confiance. Quelle que fût la supériorité de lord Palmerston, les ministres ne désespéraient pas de le remplacer avec avantage. Ils auraient un collaborateur moins éclatant, mais plus sûr. Lord John s’adressa d’abord à lord Clarendon ; celui-ci ayant refusé, les sceaux du foreign office furent offerts à lord Granville, qui en prit possession le 27 décembre 1851.