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si j’étais Louis-Napoléon, président de la république française, de la république telle que l’a constituée l’assemblée nationale de 1848. Dès le commencement de l’année 1851, le 24 janvier, dix mois avant le coup d’État, dans une lettre adressée à lord Normanby, ambassadeur d’Angleterre en France, il écrivait ces paroles extraordinaires : « Si j’étais le président, je ne m’inquiéterais pas de savoir si l’assemblée supportera ou non mes ministres, si elle les censurera ou les approuvera. Je dirais à l’assemblée : Je ne peux pas me débarrasser de vous, et vous ne pouvez pas vous débarrasser de moi ; vos censures ne changeront pas le sentiment que j’ai de ma propre conduite. De cette conduite je ne suis pas responsable envers vous (aussi longtemps que je me conforme à la loi), je ne suis responsable qu’envers la France. Mes ministres agissent d’après mes instructions ; c’est envers moi qu’ils sont responsables, non envers vous. Si vous rejetez de bonnes lois que je vous propose, c’est sur vous qu’en retombera le blâme. Si vous refusez de voter l’argent nécessaire pour entretenir l’armée, la flotte, le gouvernement civil, la nation vous demandera compte de cette manière de traiter le pays. Ce à quoi je ne puis consentir, c’est de nommer des ministres qui soient vos instrumens et non les miens. — L’exemple de notre constitution en ce qui concerne les relations des ministres avec le parlement et la couronne n’a point de rapport avec la position des ministres français. Les constitutions des deux pays sont entièrement différentes. »

Ainsi, depuis les premiers dissentimens du président et de l’assemblée, lord Palmerston s’attendait à une solution violente. Il était persuadé que la constitution de 1848 était une source de conflits et que ces conflits ne pouvaient se terminer que par un coup d’état, — coup d’état de l’assemblée nationale, ou coup d’état du président de la république. Les auteurs de la loi fondamentale, — ô clairvoyance merveilleuse ! véritable trait de génie ! — avaient placé face à face deux pouvoirs dont l’un était obligé de dévorer l’autre. L’assemblée, à cette date, c’était surtout le grand parti de la rue de Poitiers, la coalition des conservateurs légitimistes, orléanistes, libéraux, qui, sous la direction de M. Thiers, formaient la majorité parlementaire. En préférant la victoire du président à la victoire de la rue de Poitiers, le ministre anglais se trouvait d’accord avec les députés de la gauche, qui, comme on sait, refusant à l’assemblée le moyen de se maintenir, contribuèrent si puissamment au succès du 2 décembre.

Lord Palmerston a encore d’autres argumens en faveur du coup d’état de décembre. Selon lui, pour écrire cette sombre histoire dans un esprit de parfaite équité, il faudrait embrasser tous les aspects de la question et assigner sa juste part à chacun des acteurs.