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de la controverse. Cela voulait dire manifestement : « La reine vous demande de n’engager ni cette question ni aucune autre avant de lui avoir exposé les faits dont il s’agit et les motifs qui vous décident. Bien plus, votre devoir est de prévenir les demandes de la reine quand de pareils intérêts sont en cause. Si je ne vous avais pas adressé nettement cette question au nom de sa majesté, vous auriez adopté telle ou telle ligne de conduite, et peut-être n’en aurait-elle appris la nouvelle que par le texte de vos dépêches, c’est-à-dire trop tard pour faire prévaloir une politique différente. Et pourtant, ce qui est au bout, c’est la paix ou la guerre. »

L’argumentation était pressante, mais elle avait l’inconvénient d’offrir une occasion propice à la faconde de lord Palmerston. L’habile debater se lança aussitôt par l’issue qui lui était ouverte ; il s’empara de la question du Danemark, commenta le protocole de la conférence, exposa longuement les détails si compliqués des affaires du Slesvig et du Holstein, écarta les craintes de guerre générale comme une éventualité que rien ne faisait prévoir, etc… « Bref, écrit le prince, après une conversation d’une heure entière sur ce sujet, nous fûmes interrompus sans que j’aie pu réussir à lui arracher une réponse positive. » Assurément, le prince n’avait pas lieu de chanter victoire. Si le mémorandum du 12 août avait vivement ému lord Palmerston, cette émotion n’avait pas empêché le hardi ministre de persister dans sa justification tout en protestant de son respect pour la reine. Cependant le prince ajoute : « Le lendemain, je parlai de notre entrevue à lord John ; je lui dis que j’avais trouvé Palmerston tout humble, tout ému, presque au point de me faire pitié. Lord John me répondit que ce qui s’était passé avait dû produire un excellent résultat. »

Lord John se trompait. Palmerston, on va le voir, était tout prêt à recommencer sous une forme ou sous une autre. Son émotion prouvait seulement qu’en loyal Anglais et en vrai gentleman, il était désolé d’avoir paru offenser la reine. Plus tard, et dans une occasion bien autrement dramatique, le mémorandum du 12 août 1850 ayant été lu à la tribune par John Russell, les amis de Palmerston lui demanderont pourquoi devant une telle remontrance il n’avait pas donné immédiatement sa démission. Palmerston leur répondra : « Je n’ai pas donné ma démission parce que cette remontrance venait d’une femme irritée et parce qu’il faut toujours faire une différence entre un homme et une femme, alors même que cette femme occupe le trône. Je ne l’ai pas donnée parce que je venais de remporter une victoire éclatante dans le grand débat sur la politique étrangère, et que je ne pouvais me retirer sans livrer les avantages de cette victoire à mes adversaires, ni sans trahir ceux qui m’avaient si vigoureusement soutenu. Il y a d’ailleurs ici