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clément pourraient lui rendre la force. Chaque heure de retard empirait son état. C’était de toute façon le contre-temps le plus cruel qui pût frapper le gouvernement. Sans doute il laissait son nom, je dirai presque son image, au ministère, dont il ne cessait pas d’être le garde des sceaux; le nom et l’image ne suffisaient pas pour combattre. « La maladie de M. de Serre, écrivait M. Decazes à M. de Metternich, nous fait un mal extrême. Il y a dans le projet de loi des dispositions que lui seul peut défendre convenablement, parce qu’il les a conçues et méditées... » D’un autre côté, les malveillans, les ennemis, se hâtaient déjà d’exploiter contre le ministère le départ du garde des sceaux, qu’ils affectaient de représenter comme désertant la partie. C’est M. Pasquier qui le disait ; mais il n’y avait point à disputer avec un mal redoutable, et le roi lui-même, en se rendant à la nécessité, adressait à son plus cher confident, au président du conseil, ces quelques mots attendris dignes de l’homme qu’ils concernaient : « Vous jugerez facilement de la peine avec laquelle j’ai appris la décision des médecins au sujet de M. de Serre. Je sens vivement le mal de son absence ; mais une raison sans réplique me porte à appuyer l’avis de la Faculté : le temps se répare, il est des hommes qu’on ne retrouve point. »

Ce que le roi Louis XVIII disait de son ministre, tout le monde le sentait. On ne pouvait voir sans émotion et sans une secrète inquiétude disparaître ce lutteur de la parole et de l’action au moment où il semblait le plus nécessaire. De Serre partait le 26 janvier 1820; il s’éloignait la mort dans l’âme, les yeux incessamment tournés vers Paris, accompagné des sympathies de ses adversaires comme de ses amis. A peine cependant avait-il touché Nice que derrière lui, dans ce Paris qu’il venait de quitter, éclatait un événement bien autrement grave et imprévu que la maladie d’un ministre. Le soir du 13 février, le poignard d’un séide de faction frappait en plein Opéra le duc de Berry, et cette œuvre du fanatisme révolutionnaire avait une bien autre portée que l’élection de Grégoire ; elle avait le funeste effet de tout remettre en question; elle imprimait une commotion furieuse aux passions royalistes, et dans le sang d’un prince assassiné se renouait la plus grave des crises pour cette politique modérée qu’on défendait si péniblement, pour les institutions, pour le ministère, pour celui-là même qui était allé chercher un moment de repos en attendant des luttes nouvelles.


CHARLES DE MAZADE.