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ne ressemblait pas à celui qu’on avait rêvé, avec un grand projet de réforme nécessairement moins assuré du succès, en face d’une session qui, après avoir été ajournée par la crise, allait s’engager dans des conditions difficiles. Cette session même, le roi l’ouvrait par un discours habilement calculé où il parlait de « l’inquiétude vague, mais réelle, qui préoccupait les esprits, » où il laissait entrevoir, au moins dans ses traits généraux, la réforme qu’il représentait comme le complément de son ouvrage, — la charte! Le discours du roi posait la question sans la préciser, sans la décider; il la livrait à la discussion publique, à l’ardeur des partis mis en présence dans le parlement. Qu’allait-il arriver? Une certaine confusion régnait visiblement dans la chambre à peine ouverte. Les royalistes se montraient peu satisfaits de l’issue de la dernière crise et assez réservés à l’égard des propositions du gouvernement; les libéraux redoutaient les projets qu’ils ne connaissaient pas, et ils engageaient les hostilités. Le ministère ne se hâtait pas. Il laissait passer une discussion pénible sur l’élection de l’abbé Grégoire, qu’un vote d’invalidation faisait disparaître; il laissait aussi passer l’adresse, qui finissait par être insignifiante. Il attendait; au moment de se jeter dans la mêlée, il semblait hésiter, et quelques-uns des ministres auraient peut-être consenti à des transactions, à des expédiens. De Serre, lui, maintenait ses idées, déclarant tout changement de plan ruineux. « Pensez, écrivait-il vivement à M. Decazes, que la moindre hésitation nous décrédite et nous perd. Quel défaut de conviction, quelle légèreté, quelle inconstance n’annoncerions-nous pas si, pour la première idée venue, on nous voyait prêts à abandonner un plan pour lequel un ministère s’est dissous, un ministère s’est formé, pour lequel nous n’avons pas craint d’émouvoir la France entière!.. » On s’observait en perdant les jours, on arrivait aux premières semaines de 1820, — lorsque coup sur coup deux incidens venaient encore une fois bouleverser la situation.

Au milieu de ces préliminaires d’une lutte décisive, en plein travail, De Serre se trouvait frappé soudainement dans sa santé. Les premières atteintes qu’il avait éprouvées à la poitrine s’aggravaient à l’improviste et le condamnaient à quitter, au moins momentanément, le champ de bataille où il brûlait de paraître. Vainement il se raidissait contre le mal croissant et montrait à tous « une résolution à toute épreuve ; » vainement il disait d’un accent émouvant : « Je me rendrai à la chambre et y lutterai jusqu’à perte d’haleine... » les médecins lui interdisaient la tribune et déclaraient qu’il ne pouvait rester à Paris, qu’il devait se hâter de partir pour Nice, où quelques semaines de repos sous un ciel plus