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à ses œuvres. Déjà, à cette époque, la France offrait le spectacle de cette facilité avec laquelle sa souple et vigoureuse nature pouvait échapper aux plus effroyables désastres nationaux. Non-seulement elle avait pu arriver à payer ses rançons, à dégager son territoire des occupations étrangères, elle s’était de plus rapidement relevée dans sa vie intérieure, dans ses intérêts, dans son crédit. Pour la première fois depuis la restauration, le budget de 1819 touchait à l’équilibre : il n’était encore que de 890 millions, — il n’avait pas doublé ce cap du milliard qu’on devait saluer un jour, selon un mot célèbre, pour ne plus le revoir !

La politique modérée avait eu le temps de se manifester par des actes caractéristiques, durables, qui sont restés, pour ainsi dire, dans l’organisation française, qui ont inauguré une tradition. La loi militaire de 1818, cette grande réforme conçue par Gouvion Saint-Cyr, a été le commencement, le fondement de l’armée nouvelle ; elle était rappelée hier encore. Et, qu’on le remarque bien, ce n’était pas seulement la pensée d’un ministre de la guerre, c’était la pensée de De Serre lui-même, écrivant au général Desprez, son ami de jeunesse, qui avait été le chef d’état-major du maréchal Soult : « Le problème à résoudre me paraît être un état militaire propre à maintenir notre indépendance sans ruiner nos finances, sans alarmer nos voisins, sans menacer notre liberté et nos mœurs. Le moyen me paraît être de faire l’armée-aussi nationale et la nation aussi militaire que possible… » Le problème n’est-il pas encore aujourd’hui tel qu’on l’entrevoyait alors ? — Ces lois de la presse qui venaient d’être votées, qui donnaient aussitôt naissance à un essaim de journaux, ces lois de 1819 sont restées par elles-mêmes, par les belles discussions d’où elles sortaient, comme une lumière de libéralisme dans ce temps ancien. Depuis elles ont été dix fois modifiées ; elles ont subi à chaque régime, à chaque crise, une série de restrictions ou d’aggravations par toutes ces lois successives de 1822, de 1828, de 1831, de 1835, de 1849, de 1852, de 1868, de 1871, de 1875, et dans ce chaos, où se perdaient naguère des réformateurs inexpérimentés, l’œuvre première de 1819 est encore ce qu’on a fait de mieux. Et De Serre ne se contentait pas de relever la condition de la presse ; il proposait une loi sur la responsabilité des ministres, il préparait une réforme du code pénal, des procédés d’instruction criminelle. M. Decazes de son côté, pour l’amélioration du régime pénitentiaire, formait une commission où il plaçait M. de Lafayette auprès de M. Mathieu de Montmorency ; il créait les conseils-généraux de l’agriculture, du commerce, des institutions qui ont duré ; il fondait les expositions de l’industrie. La politique modérée et ceux qui en étaient les ministres, sans être à l’abri des oscillations et des faiblesses, représentaient du moins, par tout un ensemble