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séance un dramatique incident d’improvisation. Le garde des sceaux, amené à parler du danger des agitations factices d’opinions, des pressions extérieures sur les chambres, se laissait aller à dire que dans les assemblées délibérantes de la France, « sous quelques funestes auspices qu’elles eussent été réunies, » il y avait eu une «majorité presque toujours saine. » — Quoi! même la convention! s’écriait d’une voix vibrante M. de La Bourdonnaye. — Oui, monsieur, ripostait De Serre, oui, même la convention. Si la convention n’eût pas voté sous les poignards, la France n’aurait pas eu à gémir du plus épouvantable des crimes... — Aussitôt une émotion violente s’emparait de la chambre. Aux applaudissemens de la gauche et des tribunes répondaient les murmures et les protestations de la droite. On ne comprenait pas au premier instant ce qu’il y avait de profondément conservateur dans une parole qui rejetait sur une minorité de factions déchaînées et tyranniques le meurtre de Louis XVI. De Serre avait de ces éclairs comme il avait ses hardiesses de législateur, et, sans se laisser détourner de son but par une diversion émouvante, il restait sur la brèche, tenant tête à toutes les oppositions. Il arrivait à conquérir ses lois dans la chambre des députés, puis dans la chambre des pairs, où il recommençait le combat avec d’inépuisables ressources de talent.

Au feu de ces débats et de ces luttes, De Serre avait singulièrement et rapidement grandi, d’autant plus qu’il avait été peu secouru par ses collègues. Il avait livré la bataille à peu près sans eux, avec l’aide de son émule en éloquence, Royer-Collard. Seul il avait représenté le ministère, et il avait assez réussi pour inspirer à ses amis, pleins d’orgueil, cette idée que par lui le problème du régime parlementaire, du gouvernement avec les chambres et par les chambres, était résolu; mais qu’on ne s’y trompe pas, en déployant l’art d’un parlementaire éprouvé, le libéralisme le plus sérieux, le plus réfléchi, il n’entendait pas subir des influences de révolution, et il le prouvait peu après. Le jour où s’élevait dans la chambre une discussion peu opportune sur des pétitions réclamant impérieusement le rappel des régicides, il se raidissait sous l’aiguillon, repoussant avec une impétueuse énergie cette sommation. De Serre, par le fait, avait été opposé, comme Louis XVIII lui-même, à la loi qui avait frappé de bannissement les régicides en 1816. Maintenant la loi existait : cette agitation de pétitions lui apparaissait comme une revanche révolutionnaire de l’esprit de parti. Des mesures de clémence, des atténuations, des grâces que le roi ne ménageait pas, soit; une amnistie légale imposée au roi, un « acte solennel » rappelant et réhabilitant en quelque sorte les régicides, il le déclarait, — « jamais! » Ce mot, retentissant du haut de la tribune, renouvelait les émotions de la chambre, en remettant