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que mauvaise grâce dans la chambre. Les « ultras » ne pardonnaient pas à l’ancien président du conseil l’ordonnance du 5 septembre et sa modération; quelques-uns des libéraux ne lui pardonnaient pas ses tentatives récentes de retour vers la droite. Les uns et les autres, oubliant la libération du territoire, se liguaient tristement pour diminuer la majorité dans le vote de la modeste rémunération nationale due à celui qui, après avoir rendu un éclatant service, sortait pauvre du pouvoir. Le duc de Richelieu avait le droit de se sentir offensé; de Bordeaux, où il se trouvait, il écrivait aussitôt à M. Decazes, avec qui il avait gardé malgré tout les meilleurs rapports : (c Vous me connaissez assez pour croire sans peine que j’eusse préféré un petit bout de remercîment, voté à l’unanimité, à tout l’argent du monde arraché par une faible majorité... » et il faisait don aux pauvres de Bordeaux d’une dotation marchandée! L’ombre de M. de Richelieu absent et blessé pesait sur la situation nouvelle, sur le gouvernement, qui n’avait pu rien empêcher. C’était la faiblesse du ministère du 29 décembre 1818. La force du cabinet nouveau ou, si l’on veut, son caractère avait été de sortir de la crise la plus confuse comme l’affirmation vivante de la pensée du 5 septembre. C’était plus que jamais le ministère de la politique modérée par le maintien de la loi des élections, par un système nécessaire de conciliation et d’extension libérale. Dans cette administration naissante, M. Decazes, sans avoir la présidence, restait visiblement, sous le général Dessoles, le chef réel, garant de la faveur du roi, fort de son habile dextérité dans le maniement des affaires, dans les négociations avec les hommes et les partis. Il étendait son action dans le centre droit et même vers les régions les plus tempérées de la droite. De Serre, lui, formait le lien avec le centre gauche, avec les libéraux. C’était le courage impétueux dans le parlement, la voix éloquente du ministère, la force vive et entraînante du conseil.

Il arrivait au pouvoir sans brigue et sans vaine diplomatie, passionné pour le bien, mûri par la réflexion comme par les luttes de tribune, impatient de servir sa cause et ayant à prouver qu’il pouvait être le premier au gouvernement comme dans la chambre. Il avait déjà des relations de confiance avec quelques-uns de ses collègues, le maréchal Gouvion Saint-Cyr, le baron Louis, qui étaient, comme lui, des Lorrains. Il connaissait aussi le général Dessoles. Lorsque, dans l’été de 1818, il avait laissé sa femme à la campagne à Aulnay, il lui écrivait : « Autant que je m’oriente, tu ne serais pas très loin du général Dessoles. Lui, sa femme et sa fille sont simples et très bien. Il est considéré de tous les bords, homme sage et d’un excellent esprit, et je lui crois quelque attachement pour moi... » S’il n’avait pas eu jusque-là des habitudes d’intimité avec