Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/552

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en portant Ribeira à son actif, puisque, à raison de sa naissance et des premières leçons qu’il a reçues, il peut être avec justice revendiqué par l’Espagne. La Pinacothèque a de lui plusieurs peintures vigoureuses, pleines de ces contrastes un peu violens qu’il affectionnait. Soit qu’il pensât que la simple représentation de la nature offrait un intérêt suffisant, comme dans cette vieille paysanne qui porte une poule et un panier d’œufs, soit qu’il voulût prêter à ses études de torses ou d’académies une signification imaginée après coup, en les baptisant des noms de saint Barthélémy, d’Archimède, de Manassé ou de saint Pierre, c’est toujours le modèle et la pose d’atelier que nous retrouvons dans ces toiles. La peinture est abondante et énergique; elle accuse trop brutalement sans doute les saillies et l’écart entre les ombres et les lumières, mais elle frappe par son entrain, par la justesse et la décision de ses accens. Il y a même quelque chose de plus dans le Saint André déposé de la croix, et aussi dans ce Sénèque mourant qui dicte avec sérénité ses derniers enseignemens à ses disciples abîmés dans leur douleur.

Nous sommes en pleine Espagne avec Zurbaran. Sans le secours du livret, peut-être éprouverions-nous quelque embarras à mettre un nom et un titre sous deux grandes figures austères et désolées qui nous représentent saint Jean et la Vierge revenant du Calvaire; mais nous n’avons besoin d’aucune explication en face d’un Saint François, la main posée sur une tête de mort qui provoque ses méditations. Ce visage amaigri par le jeûne et ces yeux pleins de flamme et levés vers le ciel nous racontent, en termes assez clairs, l’exaltation des âmes, les longues et sévères contemplations de l’ascétisme espagnol. Chez Alonzo Cano, la piété est moins âpre, les grâces du dessin et le doux éclat de la couleur nous parlent d’un mysticisme plus tendre et d’un amour plus familier, et cette Vierge, qui dépose le petit Jésus entre les bras de saint Antoine, nous fait souvenir que nous sommes dans la patrie de sainte Thérèse.

Le portrait du cardinal Rospigliosi est bien digne de Velasquez, et ne s’accorde guère cependant avec ce que nous savons de la largeur habituelle de sa facture. Les rouges du costume et du fond rappellent l’harmonie hardie d’un des chefs-d’œuvre du maître, cette joviale et vivante figure d’Innocent X, la perle de la galerie Doria; mais les deux peintures diffèrent autant que les personnages. Le visage du cardinal est pâle, allongé, avec de grands yeux tristes et profonds; quelques fils d’argent se mêlent à ses cheveux d’un noir d’ébène : la barbiche est grise, la moustache fine et relevée. La peinture, très travaillée, très mesurée, est en accord étonnant