Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/549

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à saint Bernard, l’heureuse ordonnance des groupes sous un portique qui laisse voir la campagne, le charmant visage de la Vierge, la noble simplicité de son maintien, les gracieuses figures des anges qui l’accompagnent, l’étonnement du saint, le silence respectueux de ses compagnons, leur recueillement, les nuances délicatement rendues de tant de sentimens si rapprochés, tout concourt à renforcer l’impression de la scène[1]. Si, comme l’avance le catalogue, la date de l’œuvre peut être fixée entre 1495 et 1497, c’est-à-dire au moment même où Raphaël venait d’entrer dans l’atelier de Pérugin, il faut bien reconnaître une fois de plus, grâce à un si éloquent témoignage, l’excellence des enseignemens qu’il y trouva et l’influence décisive qu’un pareil maître a pu exercer sur un tel élève.

Il faut même penser ici aux grandes œuvres de Raphaël, aux décorations du Vatican, à la Madone de Dresde, aux cartons de Hamptoncourt, pour lui rendre toute justice et comprendre ce qu’il y eut de nouveau et de personnel dans ce prodigieux génie. Le musée de Munich ne suffirait pas à nous donner de lui une idée assez haute. Des deux portraits qui lui sont attribués et qui pendant longtemps ont passé pour le représenter lui-même, celui de Binto Altoviti nous paraît seul mériter cette glorieuse attribution. Comme M. Viardot, nous lui trouvons quelque ressemblance avec l’admirable Joueur de violon de la galerie Sciarra, mais là s’arrête malheureusement la similitude, et, s’il convient d’y louer la noble franchise du regard et la force d’un dessin irréprochable, il faut ajouter que les ombres noires qui cernent les lumières accusent trop durement les contours. Des trois madones mises également ici sous le nom de Raphaël, la Madone della Tenda seule nous semble digne de lui. La largeur du faire, la grâce facile de la composition, la sûreté des intonations, l’ampleur des formes et le choix même des types nous paraissent légitimer la date de 1516, et rappellent le souvenir de la Vierge à la chaise et même celui de la Madone de Dresde, une des meilleures inspirations du maître. Quel goût exquis dans cet arrangement ! quelle tendresse maternelle dans le geste! qu’elle est admirable, la main qui repose sur l’enfant! En le

  1. Une ancienne édition de Vasari (Firenze, 1771) signale une copie de ce tableau due au peintre F. Riposi, et tellement fidèle qu’on ne pouvait la distinguer de l’original, auquel elle fut d’ailleurs substituée dans la chapelle des Nasi, à San-Spirito de Florence, par les Capponi, héritiers des Nasi. Le tableau de Munich, acquis directement de la famille Capponi en 1834, est donc bien l’œuvre de Pérugin. L’excellente et récente édition de Vasari de Lemonnier ne donnant aucune indication à cet égard, il nous a paru utile de constater l’authenticité de cette peinture, une des plus intéressantes de la Pinacothèque.