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il est vrai, semble plus large que celle d’Holbein ne l’est d’ordinaire, la couleur est plus abondante et le faire plus libre; mais quel autre que lui serait capable de ce dessin serré, pénétrant, si mâle et si savant, si fin et si honnête? On ne peut se détacher de ce visage ouvert, à forte charpente; le regard net et droit porte bien en face et affirme la clarté de la pensée, la plénitude de la conviction. Ces lèvres minces semblent s’entr’ouvrir, il va parler, et le geste éloquent de « cette belle main » appuie déjà quelque solide raison qui sera dite en plein et sans ménagement. C’est un docteur, son simple vêtement, son bonnet noir le montrent assez, et il ne fait pas bon être l’adversaire d’un pareil homme alors qu’il vous tient cloué sous l’autorité de son regard et qu’il apporte dans la controverse des argumens aussi péremptoires. Il n’y a plus rien de gothique dans cette figure, ni dans la représentation que nous en a donnée le peintre; on sent que la réforme a passé par là. Mais quel est ce personnage? Peut-être un bout d’armoiries indiquées sur le fond servirait-il à le faire reconnaître. Et le peintre, si ce n’est pas Holbein, quel est-il? Il y a là un de ces mystères tels qu’on en rencontre assez souvent dans les musées et sur lesquels, à ses risques et périls, on peut bien dire son sentiment, mais en laissant toujours posée une interrogation.

Après Dürer et Holbein, ces deux efflorescences de l’art allemand, on dirait que la sève est épuisée et que cet art a vécu. Holbein n’avait guère laissé de traces dans sa patrie. A l’âge où par son talent, tout personnel d’ailleurs, il aurait pu y exercer quelque influence, il vient se fixer à Bâle; puis il abandonne deux fois la Suisse pour faire de longs séjours en Angleterre, et termine à Londres sa vie nomade. Dürer, au contraire, avait derrière lui toute une école. Mais ses élèves, tels que Beham, Pencz, H. Culmbach, M. Grunewald, Aldgrever, tous représentés au musée de Munich par des œuvres nombreuses, exagèrent encore la sécheresse du maître et ne méritent guère d’être signalés que comme graveurs. Quand leurs successeurs vont, à l’exemple de Dürer, chercher en Italie des inspirations nouvelles, ils n’en rapportent que de maladroites contrefaçons. L’imitation toujours croissante des maîtres d’au-delà des Alpes n’arrive qu’à éteindre peu à peu ce que l’art en Allemagne avait encore de vitalité. Ce n’est pas une décadence, c’est une ruine complète. Ni Rottenhammer avec ses froids pastiches, ni surtout B. Denner et le pénible labeur de ses portraits ne sauraient donc nous arrêter. Cherchons les Italiens eux-mêmes et chez eux, sans nous attarder davantage à leurs malencontreux imitateurs.