Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/536

Cette page a été validée par deux contributeurs.

crochet et de tricots, à la peinture sur éventails ou sur porcelaine, et surtout à la gravure sur bois.

Le gouvernement, les municipalités, les particuliers eux-mêmes ont fait de grands sacrifices pour la création ou l’extension de ces cours publics, très largement dotés. On s’applique à stimuler le zèle des professeurs et celui des élèves ; dans les établissemens importans, des subventions sont accordées aux écoliers les plus capables pour accomplir les voyages qu’on juge utiles à leur instruction. Enfin le fonds des modèles en usage s’améliore peu à peu, et nous avons éprouvé une satisfaction bien légitime en constatant que ce fonds est le plus souvent emprunté à la France. Cependant, malgré tous ces efforts et ces encouragemens, les résultats obtenus n’ont été jusqu’ici ni bien décisifs, ni bien prompts. On n’improvise pas une révolution dans le goût d’un peuple, et les progrès en pareille matière ne sauraient se décréter. Or l’infériorité relative de nos voisins tient à des causes anciennes et multiples qui ont été plus d’une fois signalées par les critiques allemands eux-mêmes. Parmi elles, il nous sera permis de noter à notre tour cette disposition fâcheuse qui tend chez eux à spécialiser prématurément l’enseignement dans les arts du dessin. En poussant dans cette voie les jeunes gens déjà assez enclins par eux-mêmes à abréger le temps qu’ils consacrent aux études désintéressées, on néglige de leur procurer le bénéfice d’une instruction générale qui seule pourrait assurer le développement ultérieur de leur talent. Au lieu d’acquérir ces principes féconds d’où dérivent naturellement toutes les applications, ils se noient dans les détails sans soupçonner les liens qu’il faudrait établir entre eux. Et notez que ce n’est pas seulement dans les choses de l’art que ces tendances se produisent au-delà du Rhin : un des chimistes les plus distingués de l’Allemagne, H. Kolbe, déplorant, lui aussi, il y a peu de temps, l’abaissement qu’il avait été à même de constater dans les études scientifiques, croyait devoir l’attribuer à cette manie de spécialisations hâtives qui pousse les jeunes gens à se cantonner dans un sujet d’études restreint, non pour le mieux approfondir, mais pour s’y faire à bon marché une notoriété rapide et fructueuse.

Quoi d’étonnant si, dans de telles conditions, l’industrie souffre et languit, elle qui ne vaut qu’à proportion de ce que valent la science et l’art purs, ses deux pôles naturels ! Il faut qu’une nation, sans prétendre escompter à trop courte échéance les résultats de son travail, mérite, par la constance et l’élévation des vues, les progrès qu’elle aspire à réaliser dans l’ordre pratique. C’est à restaurer dans l’art et à maintenir dans la science le culte de l’étude désintéressée que nos voisins doivent s’appliquer s’ils veulent sortir de la crise redoutable que traverse en ce moment leur industrie.