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les œuvres définitives, dans les chambres du Vatican, par exemple, qu’il faut apprendre comment, par une intime assimilation, il savait se servir de ces études, en simplifier les données sans les amoindrir et les subordonner à ses conceptions, mettant ainsi une harmonie complète entre sa pensée et ses modes d’expression.

À Munich, on ne s’embarrassait guère d’un tel accord. L’effort de la pensée sur elle-même devait, paraît-il, suffire à régénérer l’art moderne. L’idée étant tout, l’exécution importait peu, et les maîtres de la Germanie n’avaient que faire de consulter la nature. Grands abstracteurs de quintessence, ils réprouvaient l’enseignement par excellence, l’étude du nu, et ces nouveaux apôtres, munis du plus mince bagage, se mettaient en marche, prétendant puiser dans leur propre fonds sans avoir jamais besoin de le renouveler. Avoir de grandes pensées, telle était la tâche du maître ; dédaigneux des moyens, il ne s’abaissait pas lui-même aux vulgarités et aux lenteurs de la pratique. Respectueux admirateurs de son génie, ses élèves se chargeaient de traduire docilement ses inspirations sur les murailles. À son exemple, ils professaient une entière indifférence pour la forme et se contentaient d’enfermer dans un contour banal un coloriage terne ou acide. C’était le règne du pur esprit ; l’art, affranchi de ses entraves, pouvait désormais aborder tous les sujets. Religion, philosophie, littérature, histoire, il lui était donné de toucher à tout, et à mesure que les procédés d’expression lui faisaient plus complètement défaut, ses aspirations devenaient plus vastes et plus grandioses. Les exagérations du symbolisme, ou les vagues hallucinations d’un fantastique cher à la rêveuse Allemagne, autorisaient toutes les invraisemblances et les incorrections du dessin. L’obscurité était réputée profondeur, et la subtilité la plus raffinée passait pour richesse d’imagination. Sans commentaires, il eût été parfois bien difficile de comprendre les compositions qui se développaient le long des murs des palais, des églises ou des musées, et le lien qu’elles pouvaient avoir entre elles ; mais, grâce aux explications de quelques initiés, le public arrivait à débrouiller les ténébreuses intentions de ses peintres favoris, et, à l’aide d’une clé, il déchiffrait même les énigmes les plus compliquées. Le souverain cependant ne cessait de talonner ses artistes, pressé qu’il était d’orner au plus vite la nouvelle Athènes. À sa demande, les cartons se succédaient avec rapidité, bien qu’ils fussent de dimensions formidables. Les œuvres isolées ne suffisaient plus ; il fallait des ensembles pour dérouler l’histoire de l’humanité, pour célébrer les origines et les gloires de la patrie allemande ou échafauder l’appareil laborieux d’une théologie souvent très peu orthodoxe. Chaque œuvre en elle-même n’offrait peut-être pas, séparément, un grand intérêt, mais on aimait à penser que la réunion de