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dans le groupement et la répartition des cantons coalisés des arrière-pensées du genre de celles que j’ai cru pouvoir mettre à la charge de l’oligarchie éduenne. Sans doute, si je n’avais que cet argument à faire valoir, il y aurait de la témérité à en tirer une pareille conclusion. Mais ne concorde-t-il pas avec bien d’autres détails qui convergent dans la même direction ? César lui-même ne nous apprend-il pas (VII, 63) que les chefs éduens, Éporédirix et Virdumar, n’obéissaient qu’à regret à Vercingétorix, et que l’oligarchie éduenne se plaignait amèrement à lui, implorait son indulgence, sans oser encore se séparer de la coalition ? Et vous-même, monsieur, avec votre impartialité de vrai savant, ne vous déclarez-vous pas frappé du rôle plus qu’étrange des chefs éduens et des hommes sous leurs ordres dans les sanglantes mêlées dont la délivrance ou la chute d’Alise était l’enjeu ?

tout en passant condamnation sur quelques erreurs de détail que vous avez eu raison de relever, je crois pourtant que mes conclusions restent entières. Mon plus vif regret est de n’avoir pas eu connaissance, avant de rédiger mes études sur la Gaule, du travail que vous avez publié il y a dix-sept ans sur le Principe des nationalités, et où vous abordiez déjà cette question de la nationalité gauloise, bien trop négligée jusqu’à nos jours, puisqu’elle renferme celle de nos véritables origines nationales. Vous l’avez bien dit, monsieur : il y a incontestablement un air de famille qui rapproche à travers les siècles nos grands libérateurs, ceux en qui s’est incarnée la grande idée de la patrie. Vercingétorix, Du Guesclin, la sainte martyre de Rouen, nos héros les plus purs de la révolution, Adolphe Thiers, malgré toutes les différences de civilisation, de croyances, de caractères, de destinée, sont de même sang, de même race, de même foi nationale. Vercingétorix, dans ses montagnes d’Auvergne, à la veille de voir, mourir la vieille Gaule, eut la vision prophétique de la France, comme Jeanne Darc au fond de ses forêts natales eut celle de la France délivrée du joug étranger. C’est leur esprit qui doit nous inspirer dans nos résolutions aux jours critiques, nous calmer, dans nos dissensions, nous relever dans nos revers. Pénétrons-nous toujours plus de cette idée que, s’il nous arrive d’avoir à souffrir dans nos convictions, dans nos espérances, dans nos affections politiques, il est un malheur bien plus affreux que tous les autres, celui qui consiste à n’avoir plus de patrie.


ALBERT REVILLE.