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les contingens de 10,000, puis de 8,000, de 5,000, de 4,000 et de 3,000 ; enfin pour toutes les tribus armoricaines, dont quelques-unes seulement sont nommées, un chiffre collectif de 30,000. C’est donc simplement une nomenclature où les nations figurent successivement dans un rang exclusivement déterminé par le nombre des effectifs armés que chacune doit envoyer. J’ai dit chacune, parce que les chiffres fixés sont obligatoires pour chaque tribu taxée. Jusqu’ici, tous les traducteurs, depuis le vieux Perrot d’Ablancourt (1650) jusqu’aux plus récens, tels que M. Artaud et M. Louandre (1873), tous, disons-nous, ont entendu ainsi le texte qui nous occupe.

Et il ne peut en être autrement. Comment en effet expliquerait-on que telle ou telle série composée de sept peuplades importantes ne fournît qu’un contingent de 5,000 hommes, quand celle des Cénomans (Maine), inférieure à chacune d’elles prise isolément quant à l’étendue du territoire et à l’importance de la population, fournissait à elle seule le même nombre ? En outre, si les gens de cette même série, qui comprenait à la fois des nations de l’est, du nord et du nord-ouest (Amiens, Boulonnais, Namur, Metz, Sens), et des peuplades du sud et du sud-ouest (Périgord-Agenais), avaient eu à donner ensemble un effectif de 5,000 hommes, comment ces nations auraient-elles pu former, à si grande distance les unes des autres, ce petit contingent ? Dans quelle proportion chacune aurait-elle dû y contribuer ? Il eût été, dans l’hypothèse où vous vous êtes placé, indispensable de la déterminer en même temps que le chiffre du contingent, car, à défaut de ce règlement, la décision aurait été absolument inexécutable : or, il n’y a dans les Commentaires nulle trace de cette sous-répartition nécessaire du contingent.

Ces disparates et ces impossibilités prouvent manifestement que l’interprétation par vous donnée du texte de César est contraire à la pensée de l’auteur, en même temps qu’elle est en opposition avec celle qu’ont adoptée les historiens et les commentateurs à toute époque et en tout pays. Eh réalité, monsieur, vous avez pris pour le contingent collectif d’un groupe de tribus ce qui était le taux des contingens d’une série de tribus, intégralement dû par chaque membre de cette série.

Ce n’est pas tout ; vous avez basé votre travail sur la liste publiée par M. Mounier[1], ou sur une liste qui lui est identique, sauf l’erreur concernant les Lémovikes, que vous avez rangés à tort dans la série des tribus taxées à 8,000. En tout cas, le point de départ de cette version est une édition vicieuse, probablement ancienne, et contenant des leçons qui ont été depuis un assez long temps rejetées par les savans. Je ne relèverai pas ici toutes ces leçons[2] : je me bornerai à celle qui a

  1. Vercingétorix et l’indépendance gauloise ; pages 233-235.
  2. Ainsi les Helvii (Ardèche), que vous mentionnez, ne se trouvent que dans les éditions antérieures à Nipperdey (1847) ; ils occupant la place des Helvetii. — M. Mounier mentionne les Aulerkes-Emburons : il n’y a pas eu en Gaule de peuple de ce nom : les Aulerkes-Éburons, qui leur avaient été substitués, ont cessé eux-mêmes de figurer dans les nouvelles éditions, depuis Nipperdey : ils sont remplacés par les Aulerci-Eburovices, gens d’Évreux, voisins des Lexovii, gens de Lisieux.