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Sans entrer autrement dans la discussion de votre théorie, je puis bien faire remarquer, monsieur, qu’en l’exposant, vous n’avez tenu aucun compte (en tout cas vous n’en parlez point) d’un texte formel des Commentaires de Jules César qui la contredit ; on y lit en effet (je traduis littéralement) que, « d’après la croyance générale, le druidisme fut trouvé dans l’île de Bretagne (Angleterre) et transporté de là en Gaule, et que, de son temps, ceux qui voulaient acquérir une connaissance approfondie de cette doctrine allaient la chercher dans cette grande île[1]. »

Voilà un témoignage positif, précis, émané de l’historien conquérant, de celui qui a recueilli en Gaule et dans l’île de Bretagne les élémens de ce précieux inventaire des traditions et de l’état moral et économique de la confédération autonome : témoignage que ne contredit aucun texte, aucun document de quelque autorité, aucun fait probant. Il en résulte que, suivant l’opinion commune parmi les Gaulois, la doctrine druidique leur était venue de la Grande-Bretagne, où elle avait été trouvée ; il ne paraît donc pas exact de prétendre qu’elle ait été produite spontanément par la Gaule, comme le fruit du genius loci. En tout cas, puisque vous aviez des raisons de penser qu’il en était autrement, il eût été peut-être utile de faire connaître à vos lecteurs l’objection assurément très grave que rencontre votre opinion.

A quelle date le druidisme a-t-il été importé de Bretagne en Gaule, ou bien, en me plaçant au point de vue que vous avez développé, à quelle époque aurait-il pris naissance sur notre territoire ?

Ce ne pourrait être avant les invasions des Gaulois dans l’Italie du nord, puisqu’on n’en retrouve aucune trace dans la Cisalpine, que les peuplades gauloises ont si longtemps habitée. Or, la date de ces invasions se place, d’après Tite-Live, en l’an 600 avant Jésus-Christ ; selon M. Th. Mommsen et plusieurs autres savans, au commencement du IVe siècle ; et, suivant une opinion que nous avons récemment exposée devant l’Académie des inscriptions et belles-lettres[2], dans la deuxième moitié du VIe siècle avant notre ère. Je n’ai pas à débattre ici cette question. Il suffit de montrer qu’aucune des trois solutions proposées ne se concilierait avec l’existence du druidisme en Gaule, antérieurement au VIe siècle[3], et surtout avec l’idée de la génération spontanée de cette doctrine religieuse et de cette organisation sacerdotale sur notre sol. Vous aviez incontestablement le droit d’émettre, comme vous

  1. Bell. Gall., VI, 13.
  2. Mémoire inédit sur les Invasions gauloises en Italie.
  3. Des érudits fort autorisés ont professé dans ces derniers temps l’opinion que le druidisme avait été importe des Gaules, dans la deuxième moitié au IIIe siècle avant l’ère chrétienne, par des Belges qui, chassés par les Germains de la rive droite du Rhin, passèrent dans l’Ile de Bretagne et de là en Gaule. Cette opinion ne me semble pas encore suffisamment justifiée.