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rigueur, ni même de le poser en principe, on en reconnaît les inconvéniens ; seulement, comme les impôts pèsent plus sur les uns que sur les autres, il s’agit tout simplement d’alléger la part qui incombe aux pauvres en augmentant celle qui frappe les riches. C’est ainsi que l’ont entendu les maîtres de l’économie politique lorsqu’ils ont demandé une légère progression ; ils ont voulu rétablir un peu l’équilibre entre les sacrifices que chacun doit faire pour les dépenses de l’état. Cette prétention est complètement chimérique. On aura beau imposer les uns plus que les autres, on n’établira jamais d’équilibre. Quand vous aurez obligé celui qui a 10,000 livres de rente à payer sur le pied de 3 pour 100, tandis que celui qui en aura 1,000 ne paiera que sur le pied de 2 pour 100, sera-ce l’équilibre ? Les 20 francs que donnera le second lui coûteront plus que les 300 francs payés par le premier ; il restera encore à celui-ci, après avoir acquitté l’impôt, 9,700 francs pour vivre, tandis que l’autre n’aura plus que 980 francs.

Nous comprenons mieux, au point de vue des principes, la théorie franche de l’impôt progressif avec une échelle ascendante très sérieuse. On paiera 1 pour 100 jusqu’à telle somme de revenu, 2 pour 100 jusqu’à telle autre, puis 4 et 6 jusqu’à telle autre encore, enfin 10, 20, 40 et 50 pour 100, et même au-dessus d’un certain chiffre on prendra tout l’excédant ou à peu près. Voilà une théorie nette qui ne réalise pas encore l’égalité absolue dans le sacrifice, parce qu’elle est irréalisable, mais qui a le mérite au moins de s’en rapprocher le plus possible, de décharger beaucoup les uns en grevant considérablement les autres, et de faire peser l’impôt sur le superflu comme le demandent particulièrement les défenseurs de l’impôt progressif. Elle se justifie mieux que cette théorie bâtarde qui veut que les riches paient un peu plus que les pauvres proportionnellement et selon une progression indéterminée qui dépendra du caprice du législateur ; voilà qui est absolument irrationnel et qui conduirait dans la pratique aux conséquences les plus fâcheuses. Vous dites aujourd’hui que celui qui a 10,000 fr. de rente paiera 3 pour 100 tandis que celui qui n’a que 1,000 fr. ne sera imposé qu’à 2 pour 100 : sur quoi appuyez-vous cette progression ? Elle n’établit pas l’égalité et ne donne qu’une satisfaction incomplète à ceux qui en profitent. C’est comme raie espèce de transaction entre deux principes, celui de la proportionnalité et celui de la progression, mais c’est une transaction qui, n’ayant pas de bases fondamentales, sera sans cesse sujette à révision. Aujourd’hui la différence est entre 2 et 3 pour 100, demain elle sera entre 2, et 4, puis entre 2 et 6, etc., selon les besoins de l’état et la modération plus ou moins grande des législateurs. Peut-on