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surtout aux basses eaux. Autrefois c’était à Paimbœuf, sur la rive gauche du fleuve, non loin de l’embouchure, que les navires entrant en Loire s’allégeaient d’une partie de leur chargement ; aujourd’hui c’est à Saint-Nazaire, à l’embouchure même, sur la rive droite. Ce port, qui n’avait été jusque-là qu’une sorte de refuge fréquenté uniquement par des pêcheurs, des caboteurs et des pilotes, est devenu en très peu d’années le rival heureux de Nantes. Les grands paquebots à vapeur de la compagnie transatlantique française, ceux qui touchent à toutes les stations de la mer des Antilles, du golfe du Mexique et de la côte septentrionale de l’Amérique du sud, ont à Saint-Nazaire leur point d’arrivée et de départ. Les clippers, les grands trois-mâts, y déposent également leur chargement, ou le remettent à des gabares qui montent jusqu’à Nantes. Seuls, les bricks, les goélettes, quelques trois-mâts barques, peuvent aborder directement à ce dernier port, à cause de l’insuffisante profondeur d’eau de la Loire. En somme, la majeure partie des navires au long cours qui font le commerce entre Nantes et les pays hors d’Europe sont obligés de partir de Saint-Nazaire et de s’y arrêter au retour. Nantes ne conserve la supériorité que pour la navigation avec la plupart des havres européens. On n’en doit pas moins considérer Saint-Nazaire uniquement comme le port d’attache de Nantes, car, cette ville disparaissant, Saint-Nazaire n’aurait plus de raison d’être.

C’est à Nantes et non à Saint-Nazaire que résident les armateurs, les courtiers, les négocians, les constructeurs, les manufacturiers ; à Saint-Nazaire, ils n’ont que des représentans ou des commis. Une ville ne se déplace pas tout entière en un jour ; les habitudes prises et consacrées par les siècles sont difficiles à déraciner. Nantes est demeurée malgré tout le centre principal du commerce de toute cette partie de la Loire et de l’Océan-Atlantique. Elle a même vu le chiffre de sa population augmenter sensiblement : il s’élève aujourd’hui à 120,000 habitans, tandis que Saint-Nazaire, si confiant et si fier à ses débuts, n’en a pas encore 20,000. Nous ne sommes pas en Amérique ; ici les villes ne se bâtissent point comme par enchantement. Une foule de raisons s’opposent à ces épanouissemens vraiment miraculeux, et chez nous la routine fait souvent loi. Dans tous les cas, Nantes ne pardonne pas à Saint-Nazaire son élévation, qu’elle qualifie de subite et d’imméritée. Une jalousie profonde divise les deux cités voisines et sœurs, et a fait même oublier à Nantes sa primitive et séculaire rivalité avec Bennes.

Le principal article d’importation du port de Nantes est le sucre. Cette place vient après Paris pour le raffinage de cette précieuse denrée, et va de pair dans cette importante industrie avec Marseille, qui un moment y fut prépondérante. La quantité de sucre