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qu’on disait, peut-être aussi de ses propres craintes ou de ses impressions à elle et des impressions de sa belle-mère la baronne d’Huart, il lui répondait par une profession de foi familière et aimable où il se peignait lui-même. « venons à la causette des deux mamans. Vous vous en êtes bien donné, vous avez parlé d’or, la meilleure intention, beaucoup d’esprit ; mais pardon, vous ne vous êtes arrêtées, mesdames, qu’à l’écorce des choses. Au fond il ne s’agit pas de tel qui plaît ou déplaît, qui est ambitieux ou ne l’est pas. Ce n’est guère par les affections qu’on se détermine en ce pays, et l’ambition est si naturelle qu’on ne s’avise pas d’en faire un crime. Tel qui déplaît plairait demain s’il voulait se rendre instrument ; mais de quoi ? de projets destructeurs pour ceux mêmes qui les poursuivent. Voilà le fond des choses ! le oui et le non, y a-t-il là à transiger ? — N’appartenir à aucun parti. — C’est bien ce que je fais, chère amie, car je puis dire devant vous et devant Dieu : j’aime avec désintéressement mon pays et mon roi, et les gens de cette trempe ne sont pas assez nombreux pour faire un parti. — Rompre avec tous amis, toutes réunions. — Mais je ne le dois pas, si c’est un moyen de résister là où le devoir, l’honneur, me commandent de résister. — Mais ce qui blesse en moi, c’est cette résistance. — En voilà assez pour mettre sur la voie. Sans doute il m’est pénible de lutter contre ceux vers lesquels me porte l’inclination. Il m’est encore plus pénible d’être prôné par des hommes dont je déteste la conduite et les principes. Je vous l’ai souvent dit, c’est un inconvénient de position. Je n’ai jamais compté que la route du devoir serait semée de fleurs ; mais j’y suis. Priez seulement Dieu, chère maman, qu’il me donne la force de m’y maintenir… »

Fixer la politique de la restauration et de la France dans une modération libérale, c’était l’idée supérieure chez lui, la raison de ses luttes contre les « ultras, » ce qu’il appelait en un mot le devoir. C’était aussi la raison de son attitude vis-à-vis du ministère du duc de Richelieu, pour lequel il restait un allié fidèle, mais clairvoyant et indépendant. Il défendait et appuyait le ministère dans sa direction générale, il ne pouvait fermer les yeux sur ses hésitations et ses faiblesses, dont plus que tout autre, avec son instinct de gouvernement, il sentait le danger. Lorsque ce cabinet aux bonnes intentions cherchait à se dégager de ses élémens violens, M. Du Bouchage, le duc de Feltre, et n’y réussissait que d’une manière assez décousue, De Serre, impatienté, ne pouvait s’empêcher d’écrire de Colmar, où il venait d’arriver, à Royer-Collard : « Chemin faisant j’ai appris deux bonnes nouvelles, la sortie de Du Bouchage et l’entrée de Gouvion au ministère ; mais la façon me les a considérablement gâtées. Il est donc décidé que nous n’aurons jamais rien de