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en prenant les sceaux, — et il écrivait lui-même modestement : « Cette nomination ne parait désagréable à personne. » Il avait été désigné au choix du roi avec M. Ravez, M. Faget de Bauré, M. Bellart et M. Royer-Collard.

Président ou simple député, il était comme l’expression vivante d’un royalisme constitutionnel aussi étranger aux connivences révolutionnaires qu’aux complaisances pour les « ultras » de la monarchie. Il restait ce qu’il avait été jusque-là, persuadé, ainsi qu’il le disait, qu’il n’avait fait que ce qu’il devait faire en combattant les fanatismes surannés, les vaines résurrections nobiliaires et cléricales. Au fond du cœur, il partageait quelquefois sans doute les regrets du duc de Richelieu dans ses luttes de tous les jours contre les « ultras ; » mais, plus que le chef du ministère, il acceptait les conséquences de la politique qu’il avait adoptée, qu’il croyait seule conforme aux sentimens de la France nouvelle et aux intérêts de la restauration elle-même. Il écrivait dans l’intimité au sujet des royalistes : « Ils sont incurables. Par leur opposition aux intérêts les plus évidens de la France, ils forcent à les attaquer, et les coups qu’on leur porte frappent sur l’ancienne France. Cette position m’afflige… — Sûrement, c’est un malheur que le ridicule jeté sur une partie de l’ancienne noblesse ; mais à qui la faute ? Pourquoi des prétentions insoutenables ! pourquoi de grandes incapacités se sont-elles mises en avant ? Quand des caricatures se produisent, qui pourra empêcher d’en rire ? Qu’on n’emploie de cette classe que ce qui est employable, chacun applaudira. Voyez M. Séguier à Nancy, M. de Tocqueville à Metz, on sait qu’ils sont nobles et qu’ils ont même été exagérés ; mais ils se sont montrés les hommes de leur place, de leur département, et l’on a été content d’eux. La masse du peuple n’est donc pas aussi injuste qu’on le dit ! mais je m’engage presque dans la politique, c’est le mauvais air de la chambre qui déjà me saisit… »

Cet éminent et loyal esprit n’ignorait pas qu’en acceptant ce rôle d’antagoniste des réactions à outrance, en résistant aux fureurs de partis, le moins qu’il pût encourir était de se voir traité de révolutionnaire, d’apostat de sa classe. Il savait bien à quelles passions il avait affaire, quelles animosités il s’exposait à soulever, quels froissemens d’opinions ou d’instincts il pouvait rencontrer autour de lui. Il s’attendait à tout et se mettait au-dessus des « faux jugemens de tant de gens incapables de juger même de leurs propres intérêts. » Il ne s’affectait nullement des « bavardages » des « ultras » de Metz ou d’ailleurs qu’on lui transmettait. Au besoin, il se défendait même avec une douce fermeté contre des influences intimes, et un jour, comme sa mère avait été probablement l’écho affectueux de ce