Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/357

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans la nuit du 21 au 22 février 1619, par les soins de duc d’Epernon. La cour employa l’évêque de Luçon pour la ramener ; Richelieu profita des circonstances pour relever l’édifice de sa fortune, il s’efforça de rendre à la reine mère la première place pour la partager avec elle. D’Épernon, qui avait traité avec son roi de puissance à puissance, n’obtint ni l’héritage du connétable de Luynes ni même la reconnaissance de la reine mère. Elle ne donna qu’un diamant à celui qui l’avait fait sortir de prison. « Elle a ouï dire, dit le Gascon, que les princes sont ingrats et veut faire croire que ses ancestres ne sont point des mercadans. » La reine justifia bientôt ce nom de « balourde » qu’on lui donnait volontiers ; elle ne se défia point de Richelieu, elle le fit cardinal et lui ouvrit l’entrée du conseil. Richelieu en fit sortir le surintendant des finances, La Vieuville, qui l’y avait appelé ; le 12 août 1624, il était premier ministre. Tant que le connétable de Luynes avait été vivant, Richelieu avait défendu la reine mère pour s’en faire un appui contre le favori : Luynes disparu, il n’eut plus besoin de la reine, et il le lui fit vite comprendre.

La reine ne fut pas longtemps à se plaindre à son fils que Richelieu avait voulu faire d’elle une marote ; Richelieu, se défendant contre elle, lui écrivait : « Quand vous considérerez l’estât auquel est une personne à qui on donne le timon d’un vaisseau à tenir dans une mer orageuse et pleine d’escueils, sans qu’il puisse en aucune façon le tourner, qu’il ne déplaise à ceux mesmes par le commandement et pour le salut desquels il veille perpétuellement, vous jugerez que je ne suis pas sans peine, l’expérience vous faisant cognoistre que, comme je suis maintenant mal avec vous, je suis quelquefois brouillé avec le roy et toujours avec Monsieur, et ce pour nul autre subjet que pour vous servir tous avec sincérité, courage et franchise. » (30 avril 1628.)

Richelieu avait une politique, Marie de Médicis n’avait que des passions ; elle tenait pour l’alliance espagnole, parce que Henri IV était l’ennemi de l’Espagne. Le mariage de Louis XIII avait été pour elle une sorte de vengeance ; dès qu’elle devina dans Richelieu un continuateur d’Henri IV, ses haines eurent comme un rajeunissement et se portèrent sur celui dont elle avait si longtemps espéré faire un instrument docile. On voit dans la correspondance de Richelieu que celui-ci fit de grands efforts pour conserver les bonnes grâces de la reine mère ; il lui écrit sans cesse, il la prend pour confidente et s’efforce de l’intéresser à tous ses desseins, mais il ne la réduit pas moins par degrés du rôle de régente au simple rôle de mère : il ne lui enlevait pas seulement le gouvernement, il lui enlevait son fils ; plus dissimulée que rusée, elle cacha longtemps les sentimens nouveaux avec lesquels elle regardait celui qui