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fut tirée de la solitude pour épouser le plus grand roi de la terre. Ce roi, il est vrai, était un barbon, il ne promettait pas d’être un mari fidèle, le bruit de ses amours remplissait le monde presque autant que le bruit de ses victoires. Qui serait la véritable reine ? Marie de Médicis ou la marquise de Verneuil ? Marie put se le demander pendant son long et fatigant voyage en France, et pendant les cérémonies du mariage. Un mois après la noce, Henri IV retourna à Mme de Verneuil ; il avait déjà assez de sa Florentine.

L’Italienne sans esprit se voyait le centre d’une cour où l’esprit dévorait tout, où ses chagrins étaient un objet de risée, où sa tristesse était insultée par l’universelle gaîté. Elle se défiait de tout le monde et ne se sentait à l’aise qu’avec sa femme de chambre, Leonora Galigai, et avec le cavalier de la Galigai, Concino Concini. Ce couple devint tout son univers : elle se fit de ces amitiés basses, cupides et intéressées, comme un asile et un oratoire. Elle s’ensevelit dans les cabinets, se donna, comme il arrive souvent, à ceux qui lui appartenaient, et qui sans elle n’étaient rien.

Nous ne raconterons pas ici les tristes épisodes d’une union malheureuse : les Mémoires de Sully, les dépêches des ambassadeurs espagnols, des envoyés belges, de l’Anglais Winwood, ont fait assez connaître ce ménage royal, ou les brouilles étaient continuelles. Henriette d’Entragues, infidèle, alliée à l’Espagne, avait encore plus d’empire sur le roi que l’épouse légitime. Celle-ci dut subir, l’une après l’autre, Jacqueline de Beuil, comtesse de Moret, — Charlotte des Essarts, faite comtesse de Romorantin, — la sœur de la marquise de Verneuil, la belle Marie d’Entragues, — enfin elle vit le roi s’enflammer pour la princesse de Condé. Nous ne nous appesantirons pas davantage sur les années qui suivirent la mort d’Henri IV ; il était, pour ainsi dire, naturel que la régente répudiât toute la politique d’Henri IV, qu’elle la contrecarrât, autant du moins qu’elle avait pu la comprendre. Étrangère, nourrie d’humiliations en France, elle ne pouvait guère avoir une politique française. Henri IV avait opposé la France à la maison d’Autriche ; elle se laissa tomber dans les filets de la politique espagnole. Elle fit dévier pendant quelques années notre histoire, jusqu’au moment où un grand ministre reprit les desseins d’Henri IV et remit la politique française dans son assiette naturelle.

Nous arriverons du coup à ce duel d’une femme et d’un prêtre, qui représentaient, la première humblement et en quelque sorte à son insu, le second avec la vision claire du génie, les deux grandes forces rivales qui se disputaient la prépondérance en Europe. Marie de Médicis mettait ses instincts de femme au service des héritiers de Charles-Quint ; Richelieu mit son intelligence profonde et sa volonté de fer au service d’une politique noble, libérale, libératrice