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intendans de l’empereur, gens d’un esprit ouvert, d’un goût éveillé, ont franchi les Alpes, sans éprouver d’autres sensations que l’ennui ou l’effroi. Ils auraient été fort surpris d’apprendre que des milliers de voyageurs, iraient un jour admirer ce spectacle qui leur semblait si rebutant. On n’allait guère voir alors les hautes montagnes par curiosité. Avant de passer le Saint-Gothard, si on ne pouvait pas s’en dispenser, on faisait un vœu à Jupiter, pro itu et reditu, et le poète Claudien dit que lorsqu’on apercevait les glaciers il semblait qu’on avait vu la Gorgone, tant on était épouvanté ! C’est une conquête assurément d’être devenu sensible à ces grands spectacles, et nous devons nous en féliciter, mais peut-être avons-nous perdu d’un côté ce que nous gagnons de l’autre. Nous comprenons mieux que les anciens la poésie d’un site sauvage, je le veux bien ; mais sentons-nous aussi vivement qu’eux ce que Sainte-Beuve appelle « le charme d’un paysage reposé ? » Quand nous parcourons la Haute-Italie et que nous sommes arrivés aux environs de Mantoue et aux bords du Po, la vue de ce pays, autrefois renommé des voyageurs, nous laisse presque indifférens. Comme nous avons l’esprit occupé des beaux aspects des Alpes que nous venons de traverser, nous regardons à peine, et non sans quelque dédain, ces campagnes riantes et le grand fleuve calme qui les arrose. C’est pourtant la patrie de Virgile ; c’est le paysage qu’il avait sous les yeux dans son enfance, et qui n’est jamais sorti de son cœur. Ces plaines, qui nous semblent sans caractère, ont fait naître en lui l’amour de la nature. Il n’a pas eu besoin, pour la comprendre, de s’enfoncer dans la montagne, de s’élever jusqu’à la région des neiges éternelles, et de voir les grands fleuves sortir des glaciers. Il lui a suffi de regarder ces vertes prairies, de se promener te long de ces ruisseaux, sous le pâle feuillage des saules, de prendre « l’ombre et le frais au bord des fontaines sacrées, » d’écouter le soir « le gémissement des ramiers et le chant lointain du paysan qui coupe ses arbres. » C’est ainsi que s’est éveillé dans son âme ce profond sentiment de la vie universelle et cette sympathie généreuse pour la nature qui nous ravit dans ses vers. — Avons-nous donc autant gagné qu’on le prétend, si, à force de progrès, nous sommes devenus incapables de comprendre les sites et d’aimer le pays qui ont inspiré de si beaux ouvrages ?

Pour revenir, en finissant, à la villa de Tibur et au prince qui l’a construite, il me semble qu’Hadrien et sa maison de campagne nous donnent en somme une idée assez juste de la façon dont les Romains comprenaient la nature et en jouissaient, et que cette façon n’est ni aussi déraisonnable ni aussi éloignée de la nôtre qu’on le suppose. Comme les curieux de nos jours, Hadrien courût