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retremper leur esprit et à rafraîchir leur imagination dans la solitude. « Ici, disait Pline, tout heureux d’arriver à sa maison de Laurente, ici, je n’entends plus de bruits importuns ; ici, je ne m’entretiens qu’avec moi-même ou avec mes livres. O mer, ô rivages, mes vrais cabinets d’étude, que d’idées ne faites-vous pas naître en moi, que d’ouvrages vous me dictez ! » Et, comme il aime beaucoup à nous parler de lui, il nous fait heure par heure le tableau de la vie qu’il y mène : « Je m’éveille quand je peux, ordinairement vers la première heure (six heures du matin). Mes fenêtres restent d’abord fermées, car j’ai remarqué que le silence et les ténèbres animent l’esprit. Si j’ai quelque ouvrage commencé, je m’en occupe ; je dispose tout, les idées et même le style, comme si j’écrivais et je corrigeais. Je travaille ainsi tantôt plus, tantôt moins, selon que je trouve plus ou moins de facilité à composer et à retenir ; puis j’appelle un secrétaire, je fais ouvrir les fenêtres et je dicte ce que j’ai composé. A la quatrième heure ou à la cinquième (dix ou onze heures), selon le temps qu’il fait, je vais me promener dans une allée ou sous un portique, et je ne cesse pas, en me promenant, de composer et de dicter. Ensuite je monte en voiture ; là encore je poursuis l’ouvrage dont je me suis occupé pendant mon repos du matin et ma promenade. » Et il continue à nous faire le récit de ces journées sérieuses où le travail se mêle à tout, jusqu’au repas du soir, car on a l’habitude d’y faire une lecture instructive. Même quand il se donne quelque plaisir extraordinaire, lorsqu’il va par exemple à la chasse, il a grand soin d’apporter ses tablettes ; elles sont à côté de lui pendant qu’il est assis près des filets, et, quand les sangliers tardent à se prendre, il tire son poinçon et se met à écrire ; s’il revient les mains vides, il rapportera au moins ses pages pleines. Ce n’est pas tout à fait ainsi que nous entendons la vie à la campagne. Sans doute tout le monde alors n’était pas aussi laborieux que Pline ; il devait y avoir des gens qui ne traînaient pas toujours leur secrétaire après eux et qui, lorsqu’ils allaient chasser, laissaient leurs tablettes à la maison ; mais presque tous étaient, comme lui, des politiques, des orateurs, des lettrés, des gens du monde, que la fatigue avait un moment chassés de la ville, qui se préparaient à y revenir bientôt, et qui voulaient profiter de leur séjour aux champs pour rapporter à leurs fonctions ordinaires un corps plus robuste et un esprit plus vif.

Quand on sait pour qui les villas romaines étaient faites et ce qu’on venait y chercher, on trouve qu’elles répondaient parfaitement à leur destination. C’est leur premier mérite, qui se retrouve dans l’ensemble et les moindres détails, d’être tout à fait appropriées à ce qu’on demandait d’elles. Pline le Jeune nous a rendu le