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qu’on cherchait, il fallut aller plus loin encore. C’est ainsi que toute l’Italie, depuis le golfe de Baïes jusqu’au pied des Alpes, se peupla de villas élégantes. « Quand cesserez-vous, disait Sénèque aux riches de son temps, de vouloir qu’il n’y ait pas un lac qui ne soit dominé par vos maisons de campagne, pas un fleuve qui ne soit bordé de vos édifices somptueux ? Partout où jaillissent des sources d’eau chaude, vous vous empressez d’élever de nouveaux asiles pour vos plaisirs ; partout où le rivage forme une courbe, vous voulez fonder quelque palais, et, ne vous contentant pas de la terre ferme, vous jetez des digues dans les flots pour faire entrer la mer dans vos constructions. Il n’est pas de pays où l’on ne voie resplendir vos demeures, tantôt bâties au sommet des collines d’où l’œil se promène sur de vastes étendues de terre et de mer, tantôt élevées au milieu de la plaine, mais à de telles hauteurs que la maison semble une montagne. »

Ce n’étaient pas les riches seuls qui éprouvaient le besoin de s’enfuir de la ville et de respirer l’air des champs. Les affranchis aisés, les petits bourgeois, les gens de lettres surtout, plus amoureux encore que les autres de silence et de liberté, étaient heureux de posséder quelque part, loin de la foule et du bruit, ce que Juvénal appelle « un trou de lézard. » Suétone, que ses ouvrages d’érudition n’avaient pas enrichi, se mit en tête un jour d’acheter un petit domaine et de ne pas le payer trop cher ; à sa demande, Pline, qui le protégeait, chargea un personnage important de s’entremettre de l’affaire. « Ce qui tente notre ami, lui disait-il, c’est le voisinage de Rome, la facilité des communications, la simplicité des bâtimens, le peu d’étendue du domaine, assez grand pour le distraire et trop petit pour l’occuper. A des gens d’étude comme lui il suffit d’avoir assez de terre devant soi pour reposer l’esprit et réjouir les yeux ; il ne leur faut guère qu’un petit chemin de bordure, une allée pour se promener en paresseux, une vigne dont ils connaissent tous les ceps et quelques arbres dont ils sachent le nombre. » N’est-ce pas encore aujourd’hui un vrai jardin d’homme de lettres ?

Parmi ces amis de la campagne de tout rang et de toute condition qui se hâtaient de fuir la ville au premier loisir, il y en avait bien quelques-uns, comme Horace, qui se repentaient bientôt de l’avoir quittée. La solitude les ennuyait plus rapidement encore que le bruit les avait fatigués. Ils ne résistaient pas au regret des plaisirs du monde. Pouvait-on rester longtemps éloigné des jeux du cirque ou de l’amphithéâtre ? « Il fallait bien, dit Sénèque, voir un peu couler le sang humain. » Et ils s’empressaient de rentrer à Rome plus vite qu’ils n’en étaient sortis. Mais c’était l’exception : d’ordinaire les riches Romains restaient dans leurs villas le plus longtemps