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Quand enfin, par subterfuge, on cherchait à glisser dans le budget la « restitution » au clergé des biens d’origine ecclésiastique en privant le crédit public de sa garantie, l’état d’une de ses ressources, il combattait avec une énergique indépendance cette tentative ; il retraçait le rôle de l’église, les droits de la puissance civile et, invoquant la gravité du temps, il ajoutait avec impétuosité : « Dans quelles circonstances présente-t-on de pareilles demandes ? Lorsqu’à la suite de tant de guerres étrangères et civiles, des ravages de deux invasions, les peuples écrasés ploient sous le faix des impôts ; lorsque nous avons la douleur de reconnaître que ces impôts sont insuffisans et d’annoncer qu’il faudra y ajouter encore ; lorsque presque tous les services sont plus ou moins en souffrance, que la dette exigible est sans gage, la dette perpétuelle croissante ; lorsque le budget de la guerre chargé de la dette sacrée des retraites et des traitemens provisoires ne suffit pas ; lorsqu’en regard avec les autres puissances nous sommes sans armée, sans marine ; lorsque les clés de la France, son territoire, sont engagés à l’étranger, qu’il nous faut payer sa rançon, et que, pour sauver l’état, ses domaines sont évidemment son unique ressource ! .. Non, messieurs, non, ce n’est point le clergé qui a fait de pareilles demandes. Le clergé de France a des sentimens plus nobles, plus désintéressés, et surtout plus français, plus patriotiques ! .. » — À tout propos, dans ce conflit entre le royalisme extrême et la politique de modération, De Serre était sur la brèche, et sa parole nerveuse, animée, abondante en mots frappans faits pour résumer une situation, étonnait d’abord, puis subjuguait ou irritait les « ultras. » Cette session de 1815 avait révélé en lui l’orateur propre à toutes les luttes de l’éloquence, et son nom avait assez retenti pour qu’à son retour en Alsace, à Colmar, on fît fête au personnage public, à ses « lumières » et à son « intrépidité, » pour que le bâtonnier des avocats, qui était M. Chauffour, dît dans un discours : « Grâce à des hommes de cette trempe, que la France ne croyait plus posséder, tout s’épure, tout s’améliore. »

Les premières liaisons de De Serre dans la vie publique avaient été avec ce groupe peu nombreux et libéral de la chambre qui n’était pas même encore un parti, les Royer-Collard, les Beugnot, les Becquey, les Bourdeau. Il s’était trouvé surtout rapproché de Royer-Collard, avec qui il nouait dès lors une vive et sérieuse amitié. Ces deux hommes ne se ressemblaient ni par le talent ni par le caractère, et cependant ils s’attiraient. De Serre avait été frappé de ce qu’il y avait de supériorité d’esprit, de hauteur morale chez Royer-Collard ; à son tour, Royer-Collard, l’homme le moins prodigue de ses sympathies, avait été subjugué par cette généreuse nature de De Serre, qui lui inspirait, avec un attachement croissant, une sorte