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d’archonte. Cette conduite devait choquer les gens qui tenaient aux anciens usages. Un de ces mécontens, le poète Julius Florus, fit contre le prince voyageur de petits vers malins qui durent être lus avec grand plaisir par tous ceux qui ne pouvaient se résoudre à perdre de vue les sept collines. « Je ne voudrais pas être César, disait-il, aller courir chez les Bretons, supporter les neiges de la Scythie, etc. » A quoi Hadrien répondit, sur le même ton et dans le même mètre : « Je ne voudrais pas être Florus, me promener dans les boutiques, pourrir dans les cabarets, m’y faire manger des cousins ; » et, sans se plus soucier de l’opinion, il continua ses courses. Il lui arriva même de faire quelquefois de véritables innovations et de rechercher des spectacles qu’on négligeait avant lui. Un poète du premier siècle, qui nous a laissé une description intéressante de l’Etna, s’étonne beaucoup de l’indifférence de ses contemporains pour les spectacles de la nature. On traverse les terres, dit-il, on passe les mers pour visiter les grandes cités et les beaux monumens ; on va voir les tableaux et les statues célèbres, « une Vénus, dont la chevelure semble ondoyer comme un fleuve, ou les enfans de Médée jouant sur les genoux de leur mère cruelle, ou les Grecs qui entourent tristement Iphigénie et la traînent à l’autel, pendant qu’un voile recouvre le visage de son père ; » on admire les statues qui ont fait la gloire de Miron et des autres, tandis qu’on ne daigne pas regarder les ouvrages de la nature « qui est bien plus grande artiste qu’eux. » Hadrien ne mérite pas ce reproche. Le goût passionné qu’il avait pour les chefs-d’œuvre de l’art antique ne l’empêchait pas d’être sensible aux grandes scènes de la nature, et il est à peu près le seul alors dont on nous dise qu’il entreprit des voyages pour les contempler. Il gravit l’Etna et l’on y montre encore les ruines d’une vieille maison qu’on avait faite, dit-on, pour le recevoir. Il monta pendant la nuit sur le mont Casius pour y voir se lever le soleil, et y fut témoin d’une tempête terrible. — Ces soucis de l’art, ces préoccupations de la nature vont se retrouver dans la villa de Tibur.


II

L’âge mit fin à toutes ces courses. Quand Hadrien approcha de soixante ans, il éprouva le besoin de se reposer. Comme il n’avait pas d’enfans, il commença par se choisir un successeur. Il adopta d’abord Lucius Verus, qui mourut avant lui, puis l’honnête Antonio « Alors, dit un historien, voyant que tout était tranquille et qu’il pouvait sans danger se relâcher de ses soins, il laissa l’administration de Rome à son fils adoptif et se retira dans sa villa de Tibur. Là, comme c’est l’usage des riches et des heureux, il ne s’occupa plus