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I

La villa d’Hadrien a ce caractère particulier d’être l’œuvre et la conception personnelle d’un homme qui fut l’un des personnages les plus curieux de son temps ; elle est née de certaines circonstances de sa vie et porte partout l’empreinte de son esprit. On ne peut espérer de la comprendre que si l’on connaît d’abord celui qui la fit bâtir. Il faut donc étudier l’artiste avant l’ouvrage, essayer de savoir ce qu’il était et d’où lui vint la pensée de construire cette maison de campagne qui émerveilla ses contemporains.

L’empereur Hadrien descendait d’une famille italienne établie depuis longtemps en Espagne. Sa naissance ne semblait pas le destiner à l’empire : il était petit-cousin de Trajan, qui, après beaucoup d’hésitations, finit par l’adopter à son lit de mort. L’empire romain a eu cette fortune singulière que Nerva et les trois princes qui sont venus après lui n’ont pas eu d’héritier mâle, et qu’ils ont été forcés de s’en donner un par l’adoption. Cette absence d’hérédité directe est regardée d’ordinaire dans les monarchies comme le plus grand des malheurs, et c’est un principe aujourd’hui accepté de tout le monde que, pour assurer la sécurité des états, il est bon que le fils succède à son père. Les Romains avaient des idées bien différentes : ils conservaient jusque sous l’empire un reste de préjugés républicains qui les rendait peu favorables à la royauté héréditaire. L’expérience qu’ils en avaient faite sous les césars et les Flaviens ne les avait pas réconciliés avec elle. Après la chute de Domitien, beaucoup d’entre eux déclaraient qu’ils ne voulaient pas être a l’héritage d’une famille. » Il leur semblait qu’il valait mieux que le prince élût son successeur que de le recevoir des mains de la nature. « Naître d’un sang royal, disait Tacite, est une chance de hasard devant laquelle tout examen s’arrête. Au contraire, celui qui adopte est juge de ce qu’il fait ; s’il veut choisir le" plus digne, il n’a qu’à écouter la voix publique. » Ce qui est sûr, c’est que l’adoption a donné au monde une succession de quatre grands princes, ej ; que Rome fut tout à fait heureuse, jusqu’au jour où Marc-Aurèle eut la mauvaise fortune d’avoir un fils et de lui laisser l’empire.

Je viens de mettre sans hésiter Hadrien parmi les grands empereurs, à côté de Trajan et de Marc-Aurèle ; ce n’est pourtant pas l’opinion de tous les historiens. Sa réputation n’est pas de celles sur lesquelles on s’est mis tout à fait d’accord, et il y a de grandes diversités dans la façon dont on le juge. Ces diversités remontent très haut, jusqu’à l’époque même où vivait Hadrien, et il est