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maigre gazon, le sol commence à se relever. Quelques bouquets d’arbres annoncent l’approche de l’Anio, qu’on passe sur le ponte Lucano. A cet endroit s’élève une ruine antique d’un grand intérêt, le tombeau de la famille Plautia. C’est là que fut enseveli le consul M. Plautius Silvanus, un de ces braves officiers et de ces administrateurs intelligens qui maintinrent l’honneur de l’empire sous les plus mauvais princes et qui ont fait la gloire de Rome. L’inscription placée sur le mausolée contient le récit de ses services et l’énumération des dignités qu’il a obtenues. Sous Tibère, il commandait une légion de l’armée de Germanie ; il accompagna Claude dans l’expédition de Bretagne ; sous Néron, il gouverna la Mésie, une des provinces les plus menacées par les barbares. L’inscription raconte comment il arrêta une insurrection de Sarmates et força les rois ennemis à passer le Danube pour venir dans son camp adorer les aigles romaines. Ces services furent assez mal récompensés jusqu’au jour où Vespasien, vieux soldat lui-même, s’occupa de réparer envers ses camarades les injustices des règnes précédens ; il rappela Silvanus de la province, lui fit accorder les ornemens du triomphe et le nomma préfet de Rome[1]. — A partir du tombeau de Silvanus, le chemin se bifurque. A gauche, la route s’engage dans ces admirables bois d’oliviers qui conduisent à Tivoli ; à droite, elle traverse la plaine et mène en vingt minutes à la villa d’Hadrien.

Cette villa n’est plus guère aujourd’hui qu’un amas de ruines. Sur une étendue de plusieurs kilomètres, on ne rencontre que d’immenses substructions, des fûts de colonnes, de grands blocs épars, et çà et là quelques pans de murs encore debout. Ces débris sont si considérables qu’on les a pris longtemps pour les restes d’une ville ; on s’imaginait qu’avant de monter sur la colline Tibur avait été construit dans la plaine, et qu’on avait sous les yeux les derniers vestiges de la vieille cité ; aussi leur avait-on donné dans le pays le nom de Tivoli vecchio. Il fut aisé de montrer qu’on se trompait ; le témoignage des anciens auteurs, les inscriptions des tuiles, prouvèrent que c’était la villa d’Hadrien. Cette maison de campagne, que les contemporains trouvaient une merveille, et qui était l’œuvre favorite d’un empereur ami des arts, ne paraît pas avoir été beaucoup habitée par ses successeurs. L’histoire au moins n’en dit rien, et presque rien non plus n’a été trouvé dans ces ruines

  1. À cette occasion, Vespasien prononça dans le sénat quelques paroles que l’inscription funèbre a grand soin de rapporter, « Silvanus, dit-il, s’est conduit si honorablement en Mésie qu’on n’aurait pas dû attendre jusqu’à moi pour lui accorder l’honneur des ornemens triomphaux. Mœsiœ ita prœfuit ut non debuerit in me differri honor triumphalium ejus ornamentorum. » On voit que ce soldat parvenu avait pris du premier coup la dignité et l’élégance du langage des césars.