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manqué[1]… » M. Decazes, qui avait servi l’empire comme M. Pasquier, et qui, rallié comme lui dès le premier jour à la restauration, s’élevait rapidement de la préfecture de police au ministère de la police générale, au ministère de l’intérieur, puis à la présidence du conseil, M. Decazes avait entre tous un rôle particulier qu’il devait à une faveur personnelle croissante auprès de Louis XVIII. Jeune encore, séduisant de manières, aussi actif que dévoué, M. Decazes ne se servait de sa position privilégiée de favori du roi que pour populariser la monarchie par l’apaisement, par l’atténuation de toutes les rigueurs, par la conciliation libérale. Et autour de ces représentans principaux de la politique modérée se réunissaient d’autres hommes comme M. Portalis, M. Siméon, le maréchal Gouvion Saint-Cyr, le baron Louis, puis les libéraux royalistes du parlement, ceux qu’on appelait les doctrinaires, Royer-Collard, Camille Jordan, M. de Barante.

Ce que le duc de Richelieu et ses amis, ses collègues ou ses alliés du ministère et du parlement se proposaient, c’est le programme invariable du lendemain des grandes catastrophes nationales : mettre fin aux occupations étrangères, payer les rançons, reconstituer les finances et le crédit, refaire une armée, réorganiser la France, affermir les institutions. Cette œuvre nécessaire, elle était impossible au milieu des proscriptions et des réactions ; elle ne pouvait être accomplie qu’avec un pays pacifié, réconcilié, rassuré dans ses instincts comme dans ses intérêts. Tout se tenait. M. de Richelieu avait, dans l’œuvre commune, sa tâche unique, la libération du territoire, à laquelle il se dévouait, qu’il n’arrivait à réaliser définitivement qu’en 1818, peut-être un peu par son ascendant personnel auprès des souverains de l’Europe. Il avait patriotiquement reconquis l’indépendance, et tandis qu’il en était encore à poursuivre cette libération, le gouvernement faisait accepter par les chambres la loi du 5 février 1817, qui complétait la charte par un système d’élections fondé sur l’égalité des votes. Le maréchal Gouvion Saint-Cyr, appelé au ministère de la guerre, préparait la loi de 1818, par laquelle il donnait à l’armée une constitution nouvelle ; il tranchait, selon les idées modernes, contre les traditions d’arbitraire et de privilège, le plus grave des problèmes, celui d’une organisation nationale des forces militaires de la France. Ce que Gouvion Saint-Cyr faisait pour l’armée, le baron Louis l’avait fait

  1. Lettre de M. Pasquier à M. Portails. — Voyez le livre intéressant et distingué publié par M. Louis Favre sous ce titre : Étienne-Denis Pasquier, chancelier de France, Souvenirs de son dernier secrétaire. — J’ajouterai que dans cette lettre, écrite en 1857, sous le second empire, le vieux chancelier mettait toute sa verre à défendre contre le vieux magistrat le régime parlementaire.