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Que serait-il arrivé en effet si ces « ultras, » ces « introuvables » de 1815, ayant une majorité parlementaire, avaient eu aussi la direction des affaires de la royauté nouvelle, s’ils avaient duré assez pour réaliser ou pour tenter la moitié de ce qu’ils voulaient ? Ils auraient probablement tout perdu en peu de temps ; ils auraient détourné ou épuisé en luttes intestines les forces dont la France, occupée par les années étrangères, avait besoin pour se délivrer et pour se réorganiser. Ils auraient précipité les crises, provoqué quelque nouveau 20 mars sans l’empereur ou hâté un 1830, — et si cette fatalité que la monarchie bourbonienne portait avec elle semblait suspendue, au moins pour quelques années, c’est que précisément de cette situation critique naissait la résistance ; au feu même des plus rudes combats parlementaires, avec l’aide de tout un groupe d’hommes plus éclairés, ralliés dans le péril, se produisait la plus originale et la plus courageuse des tentatives, ce que M. Guizot, dans ses Mémoires, a appelé « le gouvernement du centre, » ce que j’appellerai l’expérience agitée et laborieuse de la politique modérée sous la restauration. Le règne de la politique modérée, avec bien des nuances et des oscillations, a duré cinq ans. Il commençait par l’ordonnance du 5 septembre 1816, cet acte décisif d’autorité royale qui, en dissolvant la chambre « introuvable, » atteignait au cœur la réaction. Il s’engageait sérieusement, honnêtement, quoique parfois avec un certain embarras, par le premier ministère du duc de Richelieu. Il arrivait à son apogée sous le ministère Dessoles-Decazes-De Serre à la fin de 1818, sous le ministère Decazes-De Serre-Pasquier à la fin de 1819. Il touchait à son déclin, un déclin pénible et disputé, sous le second ministère Richelieu, pour finir bientôt par être étouffé entre les partis extrêmes qui allaient désormais disposer des destinées de la restauration. Sept ans plus tard, le ministère Martignac ne devait être qu’une courte trêve, une vaine reprise de ce règne interrompu, brisé par les factions contraires.

C’est la plus grande et la plus sérieuse expérience tentée dans notre pays pour fonder la monarchie constitutionnelle par l’accord des traditions et de l’esprit nouveau. Elle a eu ses hommes et ses œuvres.

Le premier des modérés, c’est Louis XVIII lui-même, ce roi qui, sans être un grand politique, avait quelques-unes des qualités du souverain, le patriotisme par sentiment royal, une modération naturelle, un esprit libre, peut-être aussi l’amour-propre du lettré législateur. Après Louis XVIII, c’est le duc de Richelieu, ce gentilhomme de vieille race revenu avec la restauration du fond de la Russie, et appelé à la présidence du conseil pour ses relations avec l’empereur Alexandre. Ame droite et généreuse, caractère scrupuleux et simple,