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la chair, cette terreur du monde, le renoncement à tout ce qui fait le prix de la vie, un pareil tableau, extrait des Provinciales et des Pensées, était pour plaire au futur auteur du Bruto minore et de la Ginestra, dans ses sombres méditations de Recanati. Mais cette analogie de sentimens ne dure pas. Qui ne sent la différence entre les deux inspirations, dès que l’on entre dans une conversation familière avec la grande âme de Pascal, si douloureuse et si tendre ? Le pessimisme de Pascal a pour fond une ardente et active charité ; il veut contraindre l’homme, il le consterne, il le terrasse. Mais quelle pitié profonde dans cette logique violente ! Il ferme toutes les issues à la raison, mais c’est pour la porter d’un élan droit au calvaire et transformer cette tristesse en éternelle joie. Il tourmente son génie à découvrir des démonstrations nouvelles de sa foi ; on dirait qu’il succombe sous la responsabilité des âmes qu’il n’aura pas convaincues, des esprits qu’il n’aura pas éclairés.

Il en est de même, à certains égards, bien que pour d’autres raisons, de ce qu’on pourrait appeler le terrorisme religieux de Joseph de Maistre. Certes, au premier aspect, il semble que ce soit un genre de pessimisme que cette apologie lugubre de l’Inquisition, ce dogme de l’expiation appliqué à la pénalité sociale, cette théorie mystique et farouche du sacrifice sanglant, de la guerre considérée comme une institution providentielle, de l’échafaud placé à la base de l’état. Le cœur se serre au spectacle de la vie humaine en proie à des puissances formidables et de la société soumise à un joug de fer, sous un maître qui est un dieu terrible servi par des ministres sans pitié. Mais cet appareil de terreur ne tient pas devant un instant de réflexion. On sent bien vite que ce sont là des paradoxes de combat, des apologies et des affirmations violentes opposées à des attaques et à des négations sans mesure. Joseph de Maistre est un polémiste plutôt qu’un apologiste du christianisme ; la bataille a ses emportemens ; l’éloquence, la rhétorique, même ont leur ivresse au milieu de la mêlée ; celles de M. de Maistre l’entraînent, il ne les gouverne pas, il en est possédé. Les argumens ne lui suffisent plus, il les pousse à l’hyperbole. C’est un grand écrivain à qui manque un peu de raison, un grand peintre qui abuse de l’effet ; son pessimisme est de la couleur à outrance.

On chercherait en vain dans l’histoire du christianisme, sauf peut-être dans quelques sectes gnostiques, rien qui ressemble à cette philosophie nouvelle. C’est dans l’Inde que le pessimisme a trouvé ses vrais aïeux ; lui-même le reconnaît et s’en glorifie. La parenté des idées de Schopenhauer avec le bouddhisme a été souvent mise en lumière. Nous n’y insisterons pas ; nous rappellerons seulement que le pessimisme a été fondé dans la nuit solennelle où, assis sous le figuier de Gaja et méditant sur la misère de l’homme, cherchant