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les bons conseils ; on assure que le sultan Abdul-Hamid serait heureux d’être un peu moins conseillé et un peu plus secouru. — Aujourd’hui, disait brutalement un Anglais, l’Angleterre a tellement peur de faire la guerre pour une idée qu’avant de se fâcher elle attend qu’on lui ait donné un coup de poing, parce que décidément un coup de poing n’est pas une idée. — Quant à l’Autriche, ses malheurs et les infortunes de la France l’ont mise dans la nécessité de rechercher l’amitié de l’Allemagne, et l’Allemagne n’a pas seulement encouragé les projets russes, elle a veillé à ce que personne ne les décourageât ; c’est une consigne que le comte Andrassy a fidèlement observée depuis que la question d’Orient a été remise sur le tapis. À la vérité, plusieurs indices semblent prouver qu’il ne s’est pas prêté à tout ce que le cabinet de Berlin désirait de lui. Le cabinet de Berlin n’eût pas été fâché de voir l’Autriche lier partie avec la Russie, il eût servi volontiers à ces deux empires de médiateur, de confident, d’entremetteur, il aurait vu sans déplaisir que tout le monde s’engageât dans cette grosse affaire qui s’appelle la question d’Orient, que tout le monde y trouvât ou crût y trouver son profit, ce qui lui aurait permis de chercher le sien où il aurait voulu. Certains publicistes du nord ont adressé à ce sujet au comte Andrassy de pressantes et pathétiques exhortations ; ils l’ont convié à se faire sa part dans les dépouilles d’un empire vermoulu dont les jours sont comptés ; ils lui ont représenté qu’il se trouvait placé, comme Hercule, au milieu du carrefour où se rencontrent les chemins de la destinée, qu’il ne tenait qu’à lui de choisir sa route, que, selon le choix qu’il allait faire, la postérité le traiterait de dilettante honnête, mais maladroit, ou le mettrait au rang des grands hommes, et, au dire des publicistes du nord, on reconnaît un grand homme d’abord à ce qu’il se fait une loi de prendre tout ce qui lui paraît prenable, ensuite à ce que, professant pour les parlemens un superbe mépris, il les mène à la baguette et leur interdit de s’immiscer dans aucune question de politique étrangère.

Le comte Andrassy, quoi qu’on ait pu lui dire, ne s’est pas soucié de passer au rang des grands hommes. Il s’est appliqué à sauvegarder tant bien que mal les intérêts de son pays, sans se brouiller avec personne et sans rien risquer. Il avait promis que les Russes n’auraient pas à se plaindre de lui, et il a tenu sa parole ; mais il a refusé de s’associer à leur entreprise. Sa politique a consisté à ne rien faire, il a pratiqué ce qu’on appelle en Angleterre a masterly inactivity, une inaction magistrale. Jusqu’aujourd’hui cette inaction a été favorisée par les événemens, l’Autriche a mérité une fois de plus d’être baptisée du nom d’Austria felix. Les Turcs ont vaillamment travaillé pour elle ; il est dans la destinée des Turcs de verser leur sang pour le plus grand avantage de deux empires qui n’ont rien à leur donner que de bons conseils. la nouvelle de leurs succès n’a pas été reçue à Berlin avec la même allégresse qu’à Pesth et à Vienne. Les plus heureux joueurs ont