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Choumla, on leva le siège, de Silistrie, la Bulgarie fut évacuée, à l’exception de Varna, où demeura le général Roth. « Quand on considère les terribles sacrifices que coûta aux Russes la guerre de 1828, a remarqué M. de Moltke dans son histoire de cette campagne, il est impossible de décider si les Turcs avaient perdu ou gagné la partie. »

Les ennemis de la Russie se félicitaient du tour qu’avaient pris les événemens. Ils avaient eu des inquiétudes, ils étaient rassurés. Quand l’aigle à deux têtes avait pris tout à coup son essor, ils avaient cru le voir s’abattant de plein vol sur Constantinople ; il venait de repasser le Danube et il avait du plomb dans l’aile ; leur malignité triomphait. Ils dépréciaient injustement l’armée russe, attribuant aux vices de son organisation des échecs dus à l’insuffisance des préparatifs et des généraux. Le cabinet de Saint-Pétersbourg dissimulait de son mieux la mortification qu’il venait d’éprouver ; il affectait la confiance et la résolution. Il était décidé, disait-il, à aller jusqu’au bout, et il n’admettait pas qu’on lui parlât de négocier ; le tsar allait faire appel à toutes les ressources, à toutes les forces de son empire, dont l’honneur était en jeu, et la seconde campagne qu’on préparait démentirait les prédictions omineuses des ennemis de la Russie ; on était certain de terminer la guerre par des succès qui frapperaient le monde de stupeur. Néanmoins, malgré la fierté de son langage, le gouvernement russe, étonné lui-même des difficultés qu’il avait rencontrées, souhaitait en secret qu’un heureux incident le dispensât de continuer la guerre ; il se devait à lui-même de ne pas prendre l’initiative d’une négociation, mais il désirait ardemment que d’obligeans entremetteurs déterminassent la Porte à lui faire des avances. Il y eut un commencement de pourparlers ; le divan s’y prêta de mauvaise grâce, et la Russie coupa court à la conversation.

La principale raison qui portait le cabinet de Saint-Pétersbourg à souhaiter un arrangement était l’inquiétude que lui causait la politique de la puissance la plus intéressée dans tout règlement de la question d’Orient, la plus contraire aux ambitions russes et la mieux placée pour les entraver dans leurs entreprises. L’Autriche, qui n’avait dans le principe appuyé la Russie que pour l’arrêter, ne cachait plus son mécontentement. Elle s’occupait à compléter ses cadres, elle avait mis un corps d’observation en Transylvanie, et M. de Metternich négociait activement avec les grandes cours, dans le dessein de former une quadruple alliance qui aurait imposé ses volontés à l’empereur Nicolas. La Russie avait de sérieux sujets de crainte, et dès le 26 octobre 1828 M. de Nesselrode disait dans une dépêche confidentielle adressée à l’ambassadeur de Russie à Berlin : « Au mois de février de cette année, j’ai pu garantir à l’empereur que dans cette campagne il n’aurait à combattre que la Porte seule, tandis que, pour la campagne de 1829, je ne pourrais lui exprimer à ce sujet que de simples espérances. Jusqu’alors l’attention de la Russie s’était surtout dirigée vers l’Autriche et ses armemens ;