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diverses sensations et des divers mouvemens. Le conditionnement de ces faits peut être suivi des nerfs jusque dans les centres, avec quelles difficultés, ceux-là le savent qui l’ont essayé sans idées préconçues, sans parti-pris aveugle. Mais déjà il faut distinguer ici entre la sensation et le mouvement ; les centres moteurs peuvent être déterminés moins malaisément que les centres sensitifs : le mouvement se laisse observer du dehors, et cette observation fournit au physiologiste un fondement solide, savoir la nature exacte des phénomènes dont il cherche la cause, tandis que la sensation, fait psychologique, subjectif, ne peut être constatée que par celui qui l’éprouve. Or, la plupart du temps, le malade, ou trop ignorant ou trop affaibli, est incapable d’analyser avec quelque précision ce qu’il ressent ; le médecin, de son côté, est trop peu psychologue pour savoir diriger par des questions bien conduites la réflexion du malade et obtenir par ses réponses l’équivalent de l’observation directe à laquelle il ne peut se livrer. Le caractère psychologique de la sensation explique comment la physiologie a obtenu jusqu’à présent de moindres résultats sur ce chapitre que sur celui du mouvement, et ce retard ne porte pas seulement sur les centres sensitifs, mais aussi sur les nerfs eux-mêmes, témoin le nerf du goût, encore problématique, malgré tant d’ingénieuses recherches[1]. Et dans l’étude même du mouvement, quand le physiologiste a déterminé un centre moteur, s’il peut affirmer avec précision sa découverte, c’est à la condition de rester dans les généralités et de dire qu’il y a là, à tel endroit, une condition, une cause de tel mouvement. Mais les conditions d’un mouvement peuvent et doivent être variées, et la physiologie n’a aucun moyen de les distinguer ; le psychologue, par exemple, distingue le motif, qui est une idée, le mobile, qui est un désir, et la volonté ; si le physiologiste reconnaît que trois centres président à un mouvement, pourra-t-il dire que dans l’un s’élabore le motif, dans un autre le mobile, et que dans le troisième se produit la volonté[2] ? Non ; il ne pourra les distinguer que par leurs positions respectives et par leurs caractères anatomiques. Il pourra dire : « Ici il y a une cause de mouvement, du mouvement de tel muscle, » et rien de plus ; si on lui demande ? « Quelle cause ? » il ne pourra rien répondre.

Ainsi, faute de données psychologiques, la physiologie du système nerveux sensitif est incertaine, celle du système nerveux moteur est incomplète. Ce n’est pas tout. Une autre lacune de ces

  1. Voyez la Physiologie de Küss et Mathias-Duval, p. 466 à 474.
  2. Nous ne prétendons pas que ces trois faits psychologiques doivent être localisés dans trois points différens du cerveau. Ce rapprochement, comme les exemples cités plus haut, est purement théorique ou dialectique.