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est là, elle est complète : puis-je douter de son existence ? Elle était possible, puisqu’elle est. Comme Diogène, j’ai prouvé le mouvement par une preuve irréfutable, en marchant. La sophistique des psychologues ne vaut pas la peine d’une réfutation en règle[1]. »

Notre sophistique serait fort en peine d’elle-même, s’il ne lui était facile d’expliquer comment M. Luys a marché. Il ne pouvait le faire sans psychologie, et nous reconnaissons volontiers qu’il y a de la psychologie dans son livre ; aussi bien, sans une certaine dose de psychologie, ce livre n’aurait pu voir le jour.

C’est qu’il y a deux psychologies, celle du sens commun et celle des psychologues, exactement comme il y a deux physiques, celle du paysan et celle du physicien, deux sciences du corps humain, celle de tout le monde et celle des docteurs en médecine. L’ignorant sait qu’il marche avec ses jambes, voit avec ses yeux, entend par les oreilles ; il dira à l’occasion qu’il souffre de l’estomac, que son cœur bat, etc. Il distingue de même les trois états des corps sous les noms de terre, eau, air ou vapeur ; il sait que le tonnerre et l’éclair sont frères, que le vent amène les nuages, que les nuages contiennent la pluie et que la pluie fait pousser les moissons. Il sait aussi ce que veulent dire les mots savoir, croire, hésiter, désirer, vouloir, aimer, craindre, il sait que toutes ces choses constituent ce qu’il appelle je, moi, lui-même, son caractère, son âme, si ce mot ne lui est pas étranger, sa personne, en tant qu’elle ne se voit pas, et qu’il peut, s’il a quelque empire sur sa physionomie, la cacher à tous les yeux. Sa science, en ce domaine comme dans les autres, va aussi loin et ne va pas plus loin que le langage qu’il parle et qu’il entend. Le langage le plus vulgaire, le plus pauvre, contient une esquisse de la psychologie, comme il contient une esquisse de la physique et de la science du corps humain, esquisse superficielle, vague, confuse, qui est à la psychologie des psychologues ce que la théorie des quatre élémens est à la physique d’aujourd’hui, ce que l’anatomie et la physiologie d’Homère sont à l’anatomie et à la physiologie de l’école de Paris en 1877. Le sens commun, c’est la science commune ; elle s’exprime par le langage courant ; science précieuse, seul moyen d’entente entre le maître et l’écolier au début d’un enseignement quelconque, mais simple point de départ, indigne du nom de science, si l’on prend ce mot dans son acception

  1. Nous n’oserions prêter de pareilles expressions à un auteur qui mérite le respect de ses adversaires par son absolue sincérité et son entier dévouaient à la science, si nous ne trouvions dans sa préface des phrases comme celle-ci : « Il va de soi que cet ordre d’études doit appartenir en propre au médecin physiologiste et au médecin physiologiste seul. C’est à lui qu’il est donné désormais de revendiquer comme son patrimoine propre ce domaine de la science de l’homme où, pendant tant de siècles, la philosophie spéculative a si longuement et si stérilement péroré. »