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méthode physiologique appliquée à la psychologie ; ce serait la réfuter par ses conséquences, ou, comme disent les logiciens, par l’absurde. D’autres l’essaieront peut-être. Quant à nous, c’est l’esprit même du livre, c’est la méthode psycho-physiologique que nous voulons prendre à partie : nous essaierons de juger ses titres au gouvernement de la science de l’âme ; nous l’aborderons directement, et nous l’étudierons en elle-même, sans nous préoccuper des applications que M. Luys ou d’autres auteurs en ont faites, sinon pour appuyer de quelques exemples les réflexions qui vont suivre.


I

Toute doctrine de psychologie physiologique ou de physiologie cérébrale à prétentions psychologiques, ce qui revient au même, porte sur deux ordres de faits : d’une part des faits étendus ou matériels, d’autre part des faits inétendus ou psychologiques, vulgairement nommés spirituels. Les faits étendus sont, en premier lieu, les cellules, les fibres, etc., en un mot les organismes anatomiques ; ce sont ensuite les mouvemens de ces organismes ou de leurs élémens, ou bien les mouvemens d’entités matérielles, comme l’électricité, le magnétisme, etc., mouvemens qui ont ces organismes pour théâtre. Les faits inétendus sont les pensées, les sentimens, les volontés ou volitions. Ces deux ordres de faits sont différens jusqu’à l’irréductibilité. Les uns sont essentiellement étendus, les autres essentiellement inétendus. Rien ne peut, ni dans la réalité, ni dans notre imagination, ôter aux premiers, ni donner aux seconds le caractère de l’étendue ; voilà en quoi et pourquoi ils sont irréductibles. Cette irréductibilité est actuellement reconnue comme la donnée fondamentale de toute science anthropologique par les savans anglais, psychologues ou physiologistes, et c’est un physicien, Tyndall, qui en a donné la formule la plus heureuse[1]. Sans cet axiome indiscutable, pas de science de l’homme digne de ce nom, c’est-à-dire précise et rigoureuse ; rien que des demi-vérités, obscures, équivoques, provisoires, attendant l’analyse et la vérification ; aux idées confuses correspond un langage contradictoire et incohérent, qui ne porte dans les esprits qu’une lumière douteuse et troublée.

Il serait temps que la physiologie française daignât se laisser convaincre par l’exemple des physiologistes anglais, au lieu de continuer à accuser les psychologues de rester dans une ignorance funeste à l’égard de ses découvertes. La prétention à un isolement

  1. Conférence sur les Forces physiques et la pensée. — M. Claude Bernard a proclamé la même vérité, mais en se plaçant à un point de vue différent, dans une page remarquable de son discours de réception à l’Académie française.