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premier avocat-général à la cour de Metz, récemment formée, et, cinq mois après, en juillet, il recevait à l’improviste sa nomination à la première présidence de la cour impériale de Hambourg.

Il avait à peine trente-cinq ans lorsqu’il se trouvait appelé à ce rôle de chef de la magistrature française aux Bouches-de-l’Elbe ! Il avait été choisi parce que Napoléon voulait un magistrat de la vieille France dans ces pays de récente annexion et parce que ce magistrat devait nécessairement savoir l’allemand. Cette élévation du reste n’étonnait personne parmi ceux qui connaissaient le nouveau premier président ; il avait donné de lui une telle idée qu’il semblait fait pour les postes les plus éminens, surtout pour les postes difficiles. Le chef de la cour de Metz, le président de Gartempe, l’accompagnait de vœux et de pronostics enthousiastes : « Vous réalisez le présage que j’osais exprimer lors de l’inauguration de cette compagnie… — Sic itur ad astra ! » Et M. de Collenel, qui s’était vivement employé à cette promotion, lui écrivait en lui envoyant ses instructions : « Vous avez tout ce qu’il faut pour réussir, intégrité parfaite, talens, facilité, expérience des affaires, bonne tenue, excellente éducation… Vous avez été présenté, et sa majesté vous a nommé. Vous êtes jeune, plein de zèle pour son service,… une belle carrière vous est ouverte… Je vous embrasse et vous souhaite un bon voyage et un bon succès… »


II

On vivait alors dans l’extraordinaire. Napoléon, en peu d’années, avait si profondément transformé la France que tout ce qui était du passé semblait oublié, que l’ancienne société semblait fondue dans la société nouvelle, et cette transformation s’était accomplie au milieu de tels prodiges que la présidence d’un Français dans une cour de l’empire à Hambourg ne paraissait pas plus extraordinaire que tout le reste. De Serre lui-même, emporté dans le torrent, avait accepté sans hésitation sinon sans un mouvement de surprise. Cette Allemagne, où il avait vécu en obscur émigré, il la parcourait maintenant avec le prestige des dignités officielles, traitant d’égal à égal avec un landgrave, comme il le disait gaîment, visitant sur son chemin « Napoleonshœhe, le Versailles de la Westphalie[1], » — sans se douter que là, à soixante ans de distance, viendrait un jour échouer dans un dernier et humiliant déclin un héritier de cette fortune napoléonienne à laquelle il était associé.

  1. C’est le Wilhelmshœhe où Napoléon III devait passer ses mois de captivité après la néfaste aventure de Sedan.