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elle lui fit manger une chose qui lui fit rendre tout ce qu’il avait sur l’estomac et de plus le foie de l’oiseau, et elle le mangea elle-même. Après quoi, elle chassa de sa maison le pauvre diable, et elle eut chaque matin la bourse de cinquante ducats. Le pauvre homme resta au milieu de la rue et n’avait absolument pas de quoi manger. Il s’en alla dans un bois et il mangea de l’herbe comme les animaux. Il se mit à regarder en l’air et il vit un figuier chargé de fruits mûrs hors de saison (contra tiempo). Il en mangea une et une corne lui poussa sur la tête. Il en mangea une seconde et une seconde corne lui poussa. Il se retourna et s’aperçut que les cornes cognaient les branches et il dit : « Me voilà bien arrangé pour les fêtes. Il ne me manquait plus que des cornes sur la tête, et elles me sont venues. » Il y avait dans le bois une fontaine. L’homme alla y boire un coup et il redevint chrétien comme avant, et il dit : « Pourtant j’ai trouvé un remède. » Après il lui vint à la tête de manger un peu de salade et il devint un âne. Il but un second coup d’eau et il redevint chrétien comme devant, et il dit : « J’ai maintenant trouvé deux remèdes. » Il acheta un panier, il le remplit de figues, le mit sur sa tête et se promena devant le palais ou était la femme de théâtre en criant : « Figues de paradis, hors de saison ! » La duègne se mit à la fenêtre et fit acheter les figues à sa maîtresse. Et cet homme les fit payer une piastre le rotolo (le kilogramme ; dans leur saison, les figues coûtaient un sou la livre et même un demi-sou). On mit les figues hors de la fenêtre. Et voilà que le domestique en mangea deux en cachette, et deux cornes lui sortirent du front. Il se cacha pour que sa maîtresse ne le vît plus. La servante aussi en mangea, et il lui sortit aussi des cornes, et elle aussi s’alla cacher.

« La dame, à midi, appela ses gens, mais aucun d’eux ne répondit. Elle mangea toutes les figues, et il lui poussa sur la tête une multitude de cornes. Quand elle s’en aperçut, elle se mit à faire du vacarme. Accoururent alors le domestique et la servante, et tous les trois se virent avec des cornes sur la tête. Ils s’enfermèrent dans le palais et ne sortirent plus. Ils firent venir beaucoup de médecins, mais aucun d’eux ne sut les guérir. Cet homme (celui qui avait vendu les figues) remplit une fiole d’eau, et puis il fit dire par le pays qu’il était venu un médecin étranger qui guérissait les cornes. Cette dame, le plus tôt qu’elle put, le fit appeler et lui dit : « Seigneur médecin, vous devez, si vous pouvez, me faire la faveur de m’ôter ces cornes, car je ne peux plus aller au théâtre. — Oui, répondit le médecin, je veux vous guérir, mais je veux d’abord traiter l’affaire de l’argent. — Oui, monsieur, suffit que vous me guérissiez, ce que vous voulez, je vous le donne. — vous devez me donner cinq mille ducats. » Cette dame les lui donna, et il prit cette grosse