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inspiré M. de Pourtalès ; l’indignation du patriotisme jointe aux pressentimens de la sagacité politique avait fait de l’observateur un voyant. C’était le moment où le prince de Schwarzenberg concevait l’idée de partager l’Europe en trois grands empires : l’empire latin, l’empire germanique, l’empire slave, — ajoutant que l’empire slave appartiendrait de droit à la Russie, l’empire germanique à l’Autriche et l’empire latin à la France. Qui sait si cette conception du téméraire ministre autrichien ne provoquait pas à ce moment même l’antagoniste qui allait bientôt reprendre toute une partie de ce programme au profit des Hohenzollern ? Pour moi, plus j’étudie ces crises de 1848 à 1851, plus je m’assure que les événemens de 1866 et de 1871, ces événemens considérés en France comme des coups de foudre, ont été prévus, prédits, préparés dès ce temps-là. Évidemment, le futur Schwarzenberg prussien, le futur négociateur du traité de Nicholsbourg et du traité de Versailles, a dû s’éveiller aux grandes ambitions et se tenir prêt aux grands rôles politiques vers l’époque où Bunsen protestait contre les hontes d’Olmütz, où M. de Pourtalès traçait le plan des revanches prussiennes, où Stockmar appelait l’homme et l’acte avec l’accent du désespoir.

On ne saurait négliger, quoi qu’il en coûte, de mettre en lumière ces choses si peu connues. Les rapprochemens que nous venons de faire appartiennent à l’histoire. Il faut rétablir la vérité des situations internationales, dussent les responsabilités s’amasser plus lourdes sur ceux qui, obligés de la connaître, l’ont si complètement ignorée, et sur ceux qui la connaissant, en ont tenu si peu de compte. Il y a parmi ceux-là des hommes de tous les camps et de tous les partis. Dieu nous garde d’accuser des personnes dont les intentions ne sont point en cause ! Les fautes commises par ignorance ou par présomption ont été assez cruellement expiées. Nous voudrions seulement accoutumer les esprits à regarder au-delà de nos frontières, nous voudrions donner un avertissement à ces vanités nationales qui s’imaginent être dispensées de savoir, à cette sottise prétentieuse qui croit faire acte de patriotisme en dédaignant tout ce qui n’est pas la France. Il est bon de rappeler aussi que les événemens les plus graves dépendent souvent de causes lointaines, car cette vérité contient de hautes leçons, et ceux qui en auront gardé le souvenir sauront mieux qu’il faut toujours veiller, toujours, toujours. L’exemple que nous venons de produire est assez éclatant. Comment ne pas reconnaître que la vigie politique ne doit jamais être en défaut, quand on voit les catastrophes des dernières années tenir si étroitement aux révolutions de 1848 ?


SAINT-RENE TAILLANDIER.